MEP

Fontcuberta, l’illusionniste

Les images manipulées du photographe catalan recèlent d’insolites réalités

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2014 - 633 mots

Joan Fontcuberta est un merveilleux conteur. Ceux qui ne le connaissent pas pourraient se laisser prendre par les histoires incroyables qu’il raconte sur la découverte des restes fossilisés d’une espèce inconnue, les hydropithecus, par le père Jean Fontana dans la vallée du Bès en 1947 ou encore sur ce colonel russe Ivan Istochnikov, cosmonaute que l’histoire spatiale de l’ex-Union Soviétique a effacé après qu’il ait disparu au cours de la mission Soyouz 2.

PARIS - Photographies de squelettes pétrifiés de sirènes, longs cartels explicatifs, moulages, documentaires télévisés, écrits et archives personnelles de l’abbé Fontana ou retour en images sur la vie d’Ivan Istochnikov jusqu’à son embarquement à bord du vaisseau : chaque récit est étayé, précis et toujours abondamment documenté de photographies, films, lettres, manuscrits, objets. Chaque exposition ou installation à laquelle un récit est associé est tout aussi méticuleusement pensée dans son propre dispositif d’accrochage, de cartels et de vitrines. Il suffit cependant d’une lecture attentive des textes et des différentes pièces des installations « Spoutnik » ou de « Sirènes » pour reconnaître la physionomie de Joan Fontcuberta dans les traits du cosmonaute russe ou du personnage en cire de l’abbé Fontana. Ces révélations provoquent souvent un sourire ou un rire devant tant de facéties et de leurres, y compris pour ceux qui connaissent déjà les deux séries présentées, voire les sept autres qui composent la rétrospective de la Maison européenne de la photographie (MEP). Depuis plus de trente ans, Joan Fontcuberta est un artiste falsificateur qui officie tant à visage découvert que caché et manie autant l’humour que le burlesque ou l’ironie. Par ce procédé, il questionne la notion de vérité dans la photographie et les stéréotypes dans les modes de représentation qui prévalent dans les sciences, les religions, l’art ou des médias. Jamais durant ces années, l’artiste catalan n’a dévié de sa route ni de son mode opératoire, celui en particulier du storytelling. Il n’a pas davantage clos ses séries et préfère d’ailleurs y substituer de nouveaux projets, plus vastes et ouverts à ses trouvailles ou dernières créations d’images.

Pourfendeur de prétendues vérités
De « l’Herbarium », premier projet dans l’œuvre de Joan Fontcuberta, à « Constellations », dernière série conçue pour la MEP, ce sont donc neuf expositions, neuf récits associés chacun à une discipline de la connaissance (la botanique, la paléontologie, l’astronomie…) qui se déploient dans les espaces de l’institution parisienne pour former une vision panoramique de la démarche de l’artiste visant comme il le dit « à répertorier les différentes vies de la photographie selon la pièce qu’elle occupe. » Il confie dans la foulée, avec un sourire esquissé, son regret d’avoir dû revoir « son ambition de faire une encyclopédie sur la question ». Plusieurs vies lui seraient effectivement nécessaires pour en venir à bout au regard du goût du détail qui prévaut dans chaque pièce créée, détournée ou trouvée pour chaque série comme dans chaque installation, elle-même parodie des dispositifs muséaux propres à chaque discipline qu’il revisite en s’appropriant l’esthétique et le style de présentation. Dans « Camouflages », série de sept reproductions du célèbre portrait Le chevalier avec la main sur la poitrine du Greco (objet ici d’un accrochage éclaté qui rythme le passage d’une installation à une autre), Joan Fontcuberta s’amuse à introduire dans chacune d’elle un détail de son visage (cheveux, nez, regard, bouche…), lesquels une fois réunis figurent son portrait. Avec le choix de ce titre pour cette première rétrospective de cette dimension en France, Fontcuberta donne la mesure de son entreprise de dénonciation des stéréotypes visuels et de son malin plaisir à revisiter l’histoire de l’art et l’histoire de la photographie. À chaque visiteur de les décoder et de s’amuser de ses appropriations et détournements imaginés et conçus par ce grand performateur de l’illusion et du mensonge, véritable pourfendeur d’autorités.

Joan Fontcuberta, Camouflages

Jusqu’au 16 mars. Maison Européenne de la Photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, www.mep-fr.org, Camouflages, Joan Fontcuberta, coédition Gustavo Gili/Contrasto, 240 pages, 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : Fontcuberta, l’illusionniste

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque