Justice, Fontcuberta indemnisé

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 10 mai 2016 - 476 mots

La cour d’appel de Nîmes a condamné la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon pour le vol de ses oeuvres.

NIMES - Certains voleurs ont l’œil. Ceux qui se sont emparés des 35 photographies du Catalan Joan Fontcuberta, dans la nuit du 25 au 26 août 2010 à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon (Gard), avaient en plus un œil averti. Repérer la présence de caméras factices et l’absence d’alarme relève du métier ; distinguer les tirages originaux des retirages dénote une réelle compétence. Une compétence visiblement non partagée par le centre d’art, qui refusait de reconnaître un quelconque préjudice pour le photographe. La Chartreuse soutenait ainsi que « les photographies ayant été réalisées à partir de fichiers numériques sur du papier encore disponible dans le commerce, autorisant ainsi toute reproduction », l’artiste n’avait qu’à procéder au retirage de ses œuvres pourtant numérotées et signées. Si les anciens locataires du monastère pouvaient croire en la multiplication des pains, le marché de l’art et le droit ne croient ni aux miracles ni à la résurrection. Une fois un tirage numéroté et signé, il est impossible, en cas de perte ou de destruction, d’en éditer un identique. Quant à la proposition d’indemnisation amiable à hauteur de 35 000 euros, il n’en restait rien, une fois la procédure amorcée. Pourtant, un expert judiciaire avait chiffré la valeur des œuvres dérobées à 120 000 euros.

Des voleurs bien informés
La cour d’appel de Nîmes ne s’est nullement laissé convaincre, rappelant même que l’assureur du centre avait refusé toute garantie en raison d’une insuffisance de protection des lieux. La décision de la cour, en date du 28 avril 2016, est aussi cinglante que justifiée : « Visiblement mieux au fait du marché de l’art, les voleurs ne se sont pas trompés en dérobant uniquement des photographies de la collection “Miracles & Co” qu’ils ont soigneusement détachées de leur support en négligeant celles de la collection “Sputnik” constituée de retirages, soit de simples reproductions non signées ni numérotées et partant sans valeur sur le marché de l’art. » La Chartreuse, en sa qualité d’emprunteur des tirages, avait alors violé ses obligations de garde et de restitution, incitant la cour à la condamner à réparer le préjudice matériel né de la perte des tirages et évalué à 85 000 euros. À ce préjudice s’ajoutent ceux résultant de la nécessité pour l’artiste de solliciter ses collectionneurs pour exposer en son entier la série « au prix de multiples démarches au succès non garanti et de frais considérables » et de « l’atteinte évidente à sa création artistique ». Le premier est réparé à hauteur de 9 000 euros, le second, de 3 000 euros. Si les tirages originaux volés n’ont toujours pas refait surface, il ne reste plus qu’à la Chartreuse de prier pour que le titre de la série des photographies, « Miracles & Co », prenne enfin corps.

Légende photo

Joan Fontcuberta, Miracle de la levitacio, 2002, tirage argentique © Joan Fontcuberta

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : Justice, Fontcuberta indemnisé

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