New York

Fischli et Weiss transcendent la banalité

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 mars 2016 - 680 mots

Le Guggenheim Museum consacre une rétrospective magistrale au duo suisse, dans laquelle l’ordinaire ausculté et classé invite à la compréhension du monde.

NEW YORK - « How to Work Better ». Installée sur un immeuble du Lower East Side de Manhattan à l’initiative du Public Art Fund, une gigantesque peinture murale déroule une liste de dix attitudes à adopter afin de « travailler mieux », qui passe par « faire une seule chose à la fois », « admettre les erreurs » ou tout simplement « sourire ». Élaborée en 1991, cette œuvre n’est pas issue de la seule imagination facétieuse de Fischli & Weiss, mais son contenu a été trouvé dans une usine en Thaïlande. Elle constitue une remarquable entrée en matière à la rétrospective qui ne l’est pas moins, que consacre le Guggenheim Museum à New York aux artistes suisses. Une exposition qui, de tous côtés, pose la manière dont les artistes se sont employés à assembler des éléments de lecture permettant une compréhension du monde, en mettant en lumière les choses simples, le banal, la nature même de l’ordinaire, qui pourtant le plus souvent s’affiche finalement chez eux en quelque chose de… pas ordinaire !

L’un de leurs chefs-d’œuvre en la matière est sans doute la série de photographies intitulée Airports (1987-2012), présentée ici sous la forme d’un diaporama, qui « documente » des installations aéroportuaires et des avions en stationnement de par le monde. Il y a là quelque chose de fascinant dans l’absence de qualité autant que l’anonymat du banal, lorsqu’un vocabulaire visuel très limité permet néanmoins de retenir l’attention et de trouver une forme d’intérêt dans ce qui foncièrement n’en a pas. Cette série fait écho à une autre pas moins captivante, Visible Worlds (1986-2012), dont le projet était de rendre compte visuellement du monde en prenant des clichés – plus d’un millier ! – les plus ordinaires possibles de tous les sites touristiques importants.

Très bienvenue est également, en toute fin de parcours, l’enfilade de plusieurs opus d’une série moins connue, Polyuréthane Installations (1991- ), qui répliquent les conditions de travail à l’atelier ou dans les réserves des galeries et musées, à travers des moulages ultra-précis de tous les objets – outils, bassines, socles, plaques de bois… – occupant les lieux ; soit une manière de renverser magistralement l’idée même de ready-made tout en dressant le portrait d’une activité quotidienne et nullement scintillante.

Vis-à-vis et télescopages

Dans cette exposition, le duo suisse ne donne plus à voir de nouveaux travaux – David Weiss est décédé en 2012, alors que cette exposition était déjà programmée – mais la lecture qui en est proposée, grâce à un accrochage particulièrement précis, vivant et dynamique qui s’acclimate formidablement à la rampe en spirale du musée, revivifie l’ensemble de l’œuvre. Nullement chronologique, le parcours est finement pensé grâce à la mise en relation quasi systématique de deux séries venant dialoguer entre elles. Dès l’entrée en matière, une très belle salle laisse voir la projection du film Kanalvideo (1992), une plongée dans les réseaux d’égouts de Zürich qui happe l’œil comme dans un trou noir, auquel répond la série de sculptures Walls, Corners, Tubes (2009-2012), leur dernier corpus d’œuvres – des formes basiques en argile ou en caoutchouc, faisant référence à des fragments architecturaux déconnectés de tout contexte et dont la différenciation des matériaux laisse contraster un fini industriel à l’irrégularité du fait main. De même se télescopent des images oniriques en noir et blanc de la série Fotografías (2005) avec la rigueur impassible de sculptures en plâtre figurant des voitures (Cars, 1998) et des hôtesses de l’air (Hostesses, 1988-2012) débarrassées de toute expressivité.

Mais l’épine dorsale de cette démonstration et son morceau de bravoure resteront certainement la série de petites saynètes en argile Suddenly This Overview (1981- ), dont 168 des quelque 600 produites sont exposées ici. Sorte d’encyclopédie subjective basée sur l’expérience et les défaillances humaines autant que sur la science et la rationalité, elles parlent du sens profond des choses sans jamais donner le sentiment de discourir. C’est leur simplicité et leur humanité qui, comme dans tout l’œuvre de Fischli & Weiss, constituent là toute leur intelligence.

PETER FISCHLI DAVID WEISS 

Commissariat : Nancy Spector et Nat Trotman
Nombre d’œuvres : plus de 300

PETER FISCHLI DAVID WEISS : HOW TO WORK BETTER

Jusqu’au 27 avril, Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue, New York, (États-Unis), www.guggenheim.org, tlj sauf jeudi 10h-17h45, samedi 10h-19h45, entrée 25 $ (22 €). Catalogue co-éd. Guggenheim/DelMonico Books/Prestel, 380 p., 75 $ (68 €).

Légende photo
Peter Fischli & David Weiss, Suddenly This Overview, 1981, sélection de la série comprenant environ 600 sculptures en terre crue. © Peter Fischli and David Weiss Archive, Zürich.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°452 du 4 mars 2016, avec le titre suivant : Fischli et Weiss transcendent la banalité

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