Dessins

Fin de règne pour la Sérénissime

Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2006 - 649 mots

Montpellier réalise la première synthèse en France de l’art graphique vénitien des XVIIe et XVIIIe siècles, un appel éloquent à sa reconsidération dans l’histoire de l’art.

 MONTPELLIER - À l’issue d’une gigantesque opération de recensement et d’étude de l’ensemble des collections françaises de dessins italiens, initiée en 2002 sous l’impulsion de Catherine Loisel-Theret, les musées de province en dressent actuellement un panorama inédit pour les XVIIe et XVIIIe siècles. Alors que le Louvre prête un quart des œuvres, cinquante-six musées et bibliothèques sont impliqués. Huit cents dessins, pour beaucoup inédits, sont ainsi simultanément présentés par écoles dans sept établissements sélectionnés pour l’importance de leurs cabinets d’art graphique. L’occasion pour le public de découvrir ces richesses méconnues.
Les expositions témoignent de la spécificité des expressions graphiques des différentes cités rivales italiennes. Ceci en dépit des échanges occasionnés par la circulation croissante des artistes de la Péninsule et de l’Europe entière, comme le montre le Musée de Grenoble. Malgré des réalités complexes et contrastées, le Seicento apparaît profondément marqué par le lyrisme baroque de la Contre-Réforme, qui culmine dans la virtuosité des dessins napolitains de Salvator Rosa et de Luca Giordano réunis au Musée Sainte-Croix à Poitiers. Le siècle suivant évolue quant à lui vers une manière légère et gracieuse proche du rococo, à l’image des transformations de l’école génoise que donne à voir le Musée Fesch d’Ajaccio. Tandis que la manifestation invite à découvrir au Musée Bonnat, à Bayonne, un dessin florentin totalement méconnu, elle rappelle, au Musée des beaux-arts de Rouen, le rôle prédominant des artistes bolonais de la lignée des Carrache. Albani, Reni et Domenichino participent par ailleurs au foisonnement artistique romain, dont rend compte le Musée Paul-Dupuy, à Toulouse.

Un art autonome
Propriétaire d’un des fonds de dessins les plus importants de France, le Musée Fabre ne contribue cependant qu’à hauteur de trois feuilles au volet vénitien qu’il accueille. Dernière exposition au Pavillon avant la réouverture du musée en février 2007, après cinq ans de travaux, la centaine d’œuvres réunies rend ses titres de noblesse à l’art graphique de la lagune, longtemps considéré comme décadent jusqu’à être ignoré par Vasari dans ses Vies. On découvre ici une expression profondément originale, par l’emploi du lavis, instrument de puissants contrastes lumineux, et par la liberté d’un trait enlevé qui fait tourbillonner l’Étude pour un Ange d’Alessandro Maganza. Le dessin vénitien s’affirme plus qu’ailleurs comme un art autonome à l’égal de la peinture. Personnel, il permet aux artistes de se constituer un répertoire de motifs, à l’image de la Feuille d’études, ensemble de têtes pittoresques réalisées par Giambattista Tiepolo. Le médium les autorise aussi à développer un style qui leur est propre. Au fil d’un parcours où la sobriété des lieux fait écho à celle de l’information, le visiteur se laisse aisément captiver par des œuvres qui vibrent sur des cimaises d’un bleu froid. Illustrations mythologiques ou religieuses, scènes de genre, vedute de Guardi ou Canaletto, ou encore portraits (voir le surprenant Vieillard à l’escarboucle de Tiepolo) retracent les évolutions de la période. Ce fil chronologique nous emmène de la continuation des grands maîtres de la Renaissance par un Palma le Jeune aux évocations d’une Venise décadente par Giandomenico Tiepolo. La Promenade, où se perçoit le style rocaille, en est un exemple satirique. Les artistes étrangers, Johann Liss, Valentin Lefevre ou Louis Dorigny, illustrent la vitalité du carrefour artistique vénitien et le mélange des influences. Ainsi, le talent de Dorigny pour la composition décorative, dont témoigne In medio consistit virtus, fait progresser la tradition locale. Il faut saluer ce bel exemple de collaboration scientifique et l’initiative du Musée du Louvre pour la mise en lumière de la richesse des musées en régions.

Venise serenissima

- Commissaires : Catherine Loisel-Theret, commissaire général des sept expositions ; Michel Hilaire, conservateur en chef du patrimoine et directeur du Musée Fabre ; Jérôme Farigoule, conservateur des arts graphiques - Nombre d’œuvres : 114 dont 29 inédites

Venise. L’art de la Serenissima

Jusqu’au 14 janvier 2007, Pavillon du Musée Fabre, esplanade Charles-de- Gaulle, 34200 Montpellier, tél. 04 67 66 13 46, tlj sauf lundi 9h-18h. Catalogue, 264 p., éd. Gourcuff Gradenigo, 35 euros, ISBN 2-35340-001-0.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°249 du 15 décembre 2006, avec le titre suivant : Fin de règne pour la Sérénissime

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