Art moderne

Figuratifs, géométriques ou mystiques, les visages de Jawlensky s'exposent à Roubaix 

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 8 novembre 2021 - 571 mots

ROUBAIX

Il cherchait « une expression universelle » au visage, cette « entrée de l'âme » : encore méconnu en France, Alexej Von Jawlensky, peintre russe à la frontière entre expressionnisme et fauvisme, fait l'objet dès samedi d'une rétrospective exceptionnelle au musée La Piscine de Roubaix.

Cette exposition « d'envergure internationale », co-produite avec la Fundacion Mapfre de Madrid et les musées de Marseille, entend rendre hommage à une « figure majeure de l'art du XXe siècle, très célèbre en Allemagne, en Suisse ou aux Etats-Unis, mais malheureusement méconnu en France », souligne le conservateur du musée, Bruno Gaudichon.

Présentée jusqu'au 6 janvier, à l'occasion des 20 ans du musée, elle entend mettre en lumière « l'apport original d'Alexej Von Jawlensky (1864-1941) à l'art du XXe siècle: sa pratique de la série », une démarche consistant à multiplier les déclinaisons d'un sujet pour en créer d'infinies variations, explique le conservateur. Le parcours illustre aussi « la position particulière » de ce peintre russe ayant essentiellement travaillé en Allemagne, inspiré par Gauguin ou Van Gogh, qui fut compagnon de route de Kandinsky, et situé « dans l'entre-deux, entre figuratif et abstrait, expressionnisme et fauvisme », poursuit le commissaire scientifique Itzhak Goldberg.

Talent du coloriste

« Mais l'essentiel, c'est sa préoccupation, voire son obsession pour les visages », poursuit ce spécialiste. La scénographie suit donc son « voyage artistique », partant de portraits « relativement classiques », pour aller vers « des faces extrêmement stylisées » captant toute la surface du tableau, jusqu'à « ce qu'il appelle de façon paradoxale "un visage abstrait" », détaille le commissaire.

Au fil des années, l'artiste « vide peu à peu le visage de toute singularité, de toute expressivité particulière, pour lui donner une expression universelle », sacrée, explique M. Goldberg. « J'avais compris que la grande peinture n'était possible qu'en ayant un sentiment religieux. Et ceci, je ne pouvais le rendre que par le visage humain », écrira Jawlensky dans une correspondance privée en 1938.

En entrant, le spectateur est frappé par le talent du coloriste, ses teintes vives contrastées, intenses. L'artiste peint des personnages reconnaissables puis des « types », faisant graduellement disparaître le caractère individuel. Orthodoxe russe, il tire déjà certaines couleurs et compositions des « icônes » religieuses, ancrées dans ses souvenirs. Stylisés, sectionnés, aux couleurs irréelles: les salles suivantes présentent des paysages et des natures mortes face aux tableaux d'autres peintres comme Matisse, Kandinsky ou Vlaminck. Elles montrent comment l'artiste « commence son travail de décomposition » et de glissement vers l'abstrait, observe Itzhak Goldberg.

« Idoles »

Le spectateur découvre « sa première série », multiples « variations » d'une vue de sa fenêtre jouant « sur la limite entre figuration et abstraction », une expérimentation qu'il poursuivra ensuite sur des figures humaines. Ses premières « têtes mystiques » et « faces de sauveurs » androgynes, aux formes épurées et tonalités douces, renvoient déjà à la spiritualité mais gardent « une structure organique ». Dans les salles suivantes, ses visages deviendront géométriques, construits à partir de lignes, angles et demi-cercles. L'un d'eux, baptisé « Urform », ou « forme originelle », montre sa volonté d'aboutir à un archétype. « Ce sont des idoles » aux yeux et bouches fermés, « enlevant toute possibilité de dialogue », souligne M. Goldberg.

Dans les dernières années de sa vie, il peint les « méditations », petits formats alternant couleurs chaudes et froides aux teintes crépusculaires, et superposant un visage abstrait, « souvent vu comme une entrée de l'âme », et « la croix, symbole en Occident de la religiosité », note encore M. Goldberg. Atteint d'une arthrite déformante et contraint d'attacher son pinceau à ses mains, il en peindra plus d'un millier en quatre ans.

Par Elia Vaissière

Cet article a été publié par l'AFP le 6 novembre 2021.

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