Eugène Leroy au carré

Tous les peintres vous le diront : le format carré est d’une terrible exigence. Il ne supporte aucun écart, il n’autorise aucune division, et s’y affronter procède de la volonté de relever un défi. Un défi d’autant plus difficile que ce format est moins important en surface. Quand Eugène Leroy a décidé de passer commande d’une vingtaine de toiles d’un mètre par un mètre, il le savait. Il le recherchait aussi, ne cachant pas à son entourage qu’il s’agirait là certainement d’un vrai chemin de croix. A quoi cela peut-il bien correspondre ? Il est difficile de le dire. Peut-être à la quête du tableau dans son expression la plus sublime quand il s’appelle « icône ».
Dans tous les cas, une nouvelle fois l’artiste l’emporte et livre là une série de portraits qui frappent par
la puissance de leur luminosité intérieure. Tantôt simples, tantôt doubles, ceux-ci sont intitulés
aux initiales de ses modèles – M. et L. –, accompagnés le plus souvent d’une indication de temps ou de lieu. Tout comme les séances auxquelles il soumet ceux-ci, l’art de Leroy en appelle à l’idée de durée. Si chacun de ses tableaux se constitue matériellement, dans l’épaisseur d’une succession
de couches picturales qui s’offre en résistance au regard, ce n’est pourtant pas là que réside son art. « Eugène Leroy est le nom qu’il nous plaît de donner, ici, à cet art qui n’est pas de l’œil, et qui n’est pas de la matière, mais de ce qui est entre les deux, et de ce qui n’est pas : anneau passé au doigt entre la chair et l’air, noce mystique de la peau avec la lumière, mariage blanc de la femme et de la fenêtre (l’une citronnée, l’autre un peu lilas). Pinceau, flèche de Zénon s’approchant de la toile, fendant l’air entre chien et loup », note justement Renaud Camus. « Entre les deux », donc, dans une béance.