États-Unis - Naissance d’une nation

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2014 - 647 mots

La Fondation de l’Hermitage s’intéresse à la manière dont les peintres du Nouveau Monde ont construit l’identité de leur jeune pays.

LAUSANNE (SUISSE) Avant que New York ne devienne l’épicentre mondial de la création artistique au cours des années 1950, les artistes américains ont, comme beaucoup de leurs confrères européens, poursuivi une longue quête identitaire au cours du XIXe siècle. Paysages grandiloquents, scènes de genre pittoresques ou portraits sensibles, la peinture américaine de cette période se cherche. Dans un pays en construction qui revendique son indépendance politique, l’héritage de la peinture française, anglaise ou encore allemande s’avère pesant. À charge pour les colons européens d’inventer une nation à leur image, dans laquelle leurs esclaves africains et les Indiens, premiers propriétaires des lieux, devront se fondre. Donner une idée de la variété des pistes sur lesquelles s’est engagée la peinture à cette époque n’est pas une mince affaire. La Fondation de l’Hermitage à Lausanne s’en tire avec grâce, optant pour une présentation sommaire et équilibrée alliant peintures et photographies, nourrie par les prêts de nombreux musées américains méconnus du public suisse et peu sollicités – un autre impératif de la sélection était la taille raisonnable des tableaux dictée par celle, modeste, des salles de la Fondation.

Conforté par le succès obtenu par « L’Impressionnisme américain » en 2002, l’Hermitage a demandé à son fidèle commissaire William Hauptmann de remonter le fil chronologique et d’offrir un aperçu de ce qu’avaient à offrir les artistes du cru avant la déferlante impressionniste. L’historien de l’art américain a laissé de côté l’embarrassante question de la nationalité stricto sensu – rappelant le cas de John Singer Sargent né à Florence, étudiant à Paris et faisant carrière à Londres – pour se concentrer sur les grands axes de la production locale.

Des paysages devenus emblématiques
La sélection fait apparaître des artistes inspirés par une nature majestueuse, qu’ils dépeignent intacte et silencieuse ou trahissant l’empreinte fraîche de modestes pionniers ou de grands explorateurs. Leur fascination est telle celle du dresseur face à un animal menaçant qu’il va falloir apprivoiser… Dans Thomas Cole. La Croix dans la contrée sauvage, paru à l’occasion d’un accrochage de peintures américaines au Musée du Louvre en 2012 (lire le JdA n° 362, 3 février 2012), le conservateur Guillaume Faroult expliquait à quel point la vision idyllique des paysages de Thomas Cole était mystificatrice. Le décor naturel grandiloquent et intact dans lequel évolue « l’Indien pacifique des origines » n’est que le résultat des « fantasmes primitivistes européens ». Le parcours ne s’attarde pas sur ces paysages reconstitués de l’Est du continent souvent déjà défigurés en cette moitié de XIXe siècle et lui préfère la variété des traitements picturaux des montagnes du Midwest et de l’Ouest encore sauvages. La dimension politique est une constante indispensable pour décrypter ces paysages, ces natures mortes illustrant le billet d’un dollar (valeur fondatrice du pays) ou ces scènes de genre qu’il faut remettre dans leur contexte historique. Ainsi le camp de jeunes recrues est un havre de paix qui ne laisse rien paraître des horreurs de la guerre de Sécession (Recruiting Station, Bethlehem de William Trost Richards, 1862) ou cette jeune écolière noire qui n’a pas connu l’esclavage mais subit l’enfermement en étant privée de récréation (Kept In d’Edward Lamson Henry, 1889).

Les talents sont à degrés variables dans cette sélection qui compte quelques grands noms tels Frederic Edwin Church, Jean-Jacques Audubon, Thomas Eakins, William Merritt Chase et George Catlin. Les célèbres portraits de la « Galerie indienne » de ce dernier font écho à la série de photographies issues d’une campagne de recensement des différentes tribus indiennes organisée par le département de l’Intérieur dans les années 1870. Fiers, graves et d’une beauté saisissante, ces membres des tribus navajos, apaches ou comanches n’ont pas besoin d’un pinceau et d’une toile pour illustrer le vrai visage de l’Amérique.

Peindre l’Amérique

Commissaire : William Hauptmann, historien de l’art

Peindre l’Amérique, les artistes du Nouveau Monde 1830-1900

Jusqu’au 26 octobre, Fondation de l’Hermitage, 2, route du Signal, 1018 Lausanne, Suisse, tél. 41 21 312 50 13, www.fondation-hermitage.ch
tlj sauf lundi 10h-18h, 10h-21h le jeudi.
Catalogue, coédité par la Fondation de l’Hermitage et la Bibliothèque des Arts (Lausanne), 184 p., 49 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : États-Unis - Naissance d’une nation

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