Haute-couture

Et Matisse inventa le Couper-Coller

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 3 mai 2013 - 752 mots

L’« invention » tardive des gouaches découpées par Matisse célèbre le mariage du dessin et de la sculpture.

Le Cateau-Cambrésis - Voilà l’occasion exceptionnelle d’initier vos enfants à l’art, mais également de constater la façon dont l’œuvre de Matisse peut s’adresser à des publics différents. 443 morceaux de papiers gouachés découpés, non utilisés par l’artiste pour sa production et offerts par la famille, sont déployés sur les murs. Algues, palmes, oiseaux, fleurs ou de simples motifs abstraits, des courbes ou des arabesques d’une élégance inouïe, des suggestions pour notre imaginaire ? Qu’importe, il s’agit avant tout de composants plastiques, de « chaînes » décoratives qui révèlent toute l’importance accordée à l’ornemental par le peintre.

L’histoire est connue. En 1943, Matisse, gravement malade, va avoir recours aux papiers gouachés, préparés par ses assistants, découpés par lui et fixés sur différents supports (dans le film projeté au musée, l’artiste manie avec une expertise remarquable une paire de ciseaux de couturière de taille impressionnante). L’œuvre initiale Jazz sera publiée sous la forme d’un livre aux éditions Tériade en 1947. Désormais, y compris pour la chapelle du Rosaire des dominicaines de Vence, ce projet majeur qu’il entreprend dans les dernières années de sa vie, Matisse va employer cette technique systématiquement. Qu’il s’agisse des maquettes pour la céramique, le vitrail ou le textile, on trouvera parfois des motifs proches qui vagabondent d’un média à autre. Certes, on peut considérer que cette manière de procéder fut déterminée par le handicap physique de l’artiste. Cependant, comme toujours, une invention technique n’est pas le fruit du simple hasard , mais une réponse à une recherche entamée par l’artiste.

Ainsi, déjà en 1931, pour La Danse Barnes I, Matisse épingle sur la toile des papiers colorés et découpés à la place des motifs. La mobilité de la procédure lui permet d’espacer, ajuster ou superposer les formes selon sa volonté, d’en corriger les effets. Mais surtout, dans le cas de Matisse, c’est de la simplification de sa peinture qu’il s’agit, comme si la phrase légendaire de Gustave Moreau, « vous n’allez pas réduire la peinture à ça », résonnait encore chez lui. De fait, ce sont des configurations épurées, dénuées de tout détail anecdotique sur un fond débarrassé d’effets de parasitage que le peintre obtient. En taillant, tel un sculpteur « à vif dans la couleur », il réussit à associer la ligne à la couleur, le contour à la surface.

La chapelle de Vence, une œuvre totale
On ne saura jamais si ces « miettes » tombées de la table de travail de Matisse, ces « fonds d’atelier », ont été conservés par lui comme réserve pour les œuvres à venir ou définitivement disqualifiés. L’intérêt de les voir assemblés réside dans l’opportunité d’avoir le sentiment (l’illusion ?) de partager in vitro le processus d’élaboration créatif avec son lot d’hésitations et de décisions. Un exemple spectaculaire : les deux magnifiques œuvres monumentales, au cœur de l’exposition, Océanie, la mer et Océanie, le ciel (1946). À partir de ces réminiscences polynésiennes (Matisse séjourne en 1930 à Tahiti et à Paumotu), il réinvente « ces enchantements du ciel et de la mer ». Flottement et envolée, poissons et oiseaux, eau et nuages, la gravité cède la place à « un monde nouveau, sensible, organisé, un monde vivant qui est en lui-même le signe infaillible de la divinité ».

Aux côtés de ces travaux sont placés des motifs découpés en papier, proches et parfois semblables à ceux qui composent les œuvres définitives. Juxtaposition qui offre une véritable démonstration du passage des signes isolés à un résultat, où des liens organiques internes sont formés par le regard et l’intuition de Matisse. Un changement à peine perceptible d’une ligne, une modification de couleur, tous ces petits détails qui contribuent à ces miracles de légèreté. Ailleurs, on peut comparer d’autres motifs avec ceux que Matisse va inclure pour l’ensemble du projet de la chapelle de Vence : les vitraux, qui sont comme une transposition semi-transparente des gouaches découpées, les panneaux de céramiques, mais aussi les somptueuses chasubles.

Tout laisse à penser que le procédé révolutionnaire d’articulation entre couleur et dessin de papiers découpés trouve sa version spatiale définitive avec la chapelle de Vence, permettant d’en faire une œuvre d’art totale où le spectateur est pleinement immergé. Comme l’a remarqué Pierre Schneider, récemment disparu, auteur du livre Matisse, chef-d’œuvre d’histoire de l’art : « Jazz est en somme la première maquette au sens architectural du terme de la chapelle de Vence ».

Titre original de l'article du Jda : "Couper-Coller"

Matisse, la couleur découpée

Commissariat : Patrice Deparpe, conservateur adjoint du Musée Matisse
Nombre d’œuvres : 443

Jusqu’au 9 juin, Musée Matisse, Place du Commandant Richez, 59360, Le Cateau-Cambrésis, tel 03 59 73 38 00, museematisse.cg59.fr, tlj sauf mardi, 10h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°391 du 10 mai 2013, avec le titre suivant : Et Matisse inventa le Couper-Coller

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