Espéranto de papier

Au Crestet, Jan Kopp bâtit sur la non-compréhension

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2001 - 634 mots

Jouant de la confusion des signes, Jan Kopp, jeune artiste allemand résidant en France depuis une dizaine d’années, est intervenu dans le Centre d’art du Crestet en retapissant ses murs d’une peau d’images et de textes. Au sein de cette « tour de Babel à l’horizontale », l’artiste interroge la notion de contresens culturel à travers une demi-dizaine de vidéos.

LE CRESTET - Bâti sur l’ouvrage éponyme de Karl May, un romancier qui rêvait depuis son Allemagne du XIXe siècle d’un Ouest américain aussi sauvage que romantique, Old Shatterhand ferait passer les westerns spaghetti de Sergio Leone pour des documentaires ethnographiques. Sorti en 1963, ce film a été tourné en Bosnie par un réalisateur argentin, avec des figurants locaux – en lieu et place des Apaches, des Français, des Américains – ou encore une “star” israélienne dans le premier rôle. Malgré son montage absurde, le film n’en est pas moins devenu un classique outre-Rhin, ancré dans la culture populaire, et rediffusé avec profit à la télévision. Juste retour des choses, Jan Kopp, en résidence l’an passé à New York, a invité des Américains à s’approprier le film en imitant ses dialogues. Ce sont ces voix, retranscriptions purement phonétiques de l’allemand, qui doublent les séquences d’Old Shatterhand prélevées pour Westlicht (2000), une vidéo diffusée en alternance sur trois moniteurs placés au sein de la vaste installation réalisée par l’artiste au Centre d’art du Crestet. Alors que sur le sol sont collés des pages arrachées dans une édition allemande de la revue Geo, façon comme une autre de parcourir le monde, une armature de bois et de papier forme une seconde peau dans la salle d’exposition. Sur celle-ci, des images recueillies par l’artiste au fil des années, des plans de l’œuvre, des dialogues de Blue Velvet ou de The Big Lebowski, de vues de bâtiments de Beyrouth ou des États-Unis se juxtaposent avec l’architecture du lieu, alternant ainsi strates de fiction et de réalité.

“Documentaire fictif d’un workshop fictif”
“L’idée qui prédomine ici est celle d’une tour de Babel à l’horizontale. Il ne s’agit pas de traiter d’une utopie qui trouve son échec, mais d’établir une construction à partir d’un principe de non-compréhension résume Jan Kopp. Il faut regarder les images comme des signes, pas pour ce qu’elles représentent, mais pour ce qu’on est capable d’y voir et de comprendre.” Intitulée Unaussprechlich (“incompréhensible” en allemand), ce vaste ensemble accueille six œuvres qui ne jouent pas tant de la confusion des sens que de celle des signes et des langues : dans Taming the Allien (2000), l’artiste apprivoise cette présence étrangère qu’est la télévision en doublant tous les dialogues, que ce soit les confessions de Mariah Carrey ou les interventions de Bill Clinton. À côté, Final Races (2000) montre cinq saucisses faisant la course.

Résultant d’un atelier à l’École des beaux-arts de Perpignan, Sannectamok (2001) plonge également le corps dans la bataille. Ce “documentaire fictif d’un workshop fictif”, comme le dit l’artiste, s’attache à relater le stage de danse auquel Jan Kopp convia les élèves. Les instructions chorégraphiques données dans une langue inexistante, ou les danseurs invités à s’exprimer dans un “yaourt” de grec ou d’espagnol tout à fait convaincant interrogent l’existence de contresens culturels, une notion déjà niée par le succès populaire d’Old Shatterhand. Projection centrale, Amoco (2000) est lui, hormis son titre sonore, un long plan fixe ralenti sur une station-service. Écho à la hauteur de la prise de vue, le visiteur est invité à monter sur une mezzanine pour adjoindre à cette vision contemplative des sons divers, parasités par une voix synthétique qui distancie le spectateur en lui intimant des ordres : “Close your eyes, open your eyes, go !”

- JAN KOPP, UNAUSSPRECHLICH, jusqu’au 17 juin, Le Crestet centre d’art, Chemin de la verrière, 84110 Le Crestet, Vaison-la-romaine, tél. 04 90 36 35 00

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : Espéranto de papier

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