Luxembourg - Histoire - Social

XXE SIÈCLE

À Esch-sur-Alzette, l’histoire ouvrière en sa cathédrale

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2022 - 583 mots

ESCH-SUR-ALZETTE / LUXEMBOURG

Dans le cadre du label « Capitale européenne de la culture », la « Massenoire », ancienne usine désaffectée, propose un parcours centré sur l’histoire sociale du bassin sidérurgique.

Esch-sur-Alzette (Luxembourg). À Belval, friche industrielle d’Esch-sur-Alzette – deuxième ville du Luxembourg –, le passé ouvrier est présent sans vraiment l’être. Le quartier requalifié en pôle universitaire et de recherche s’est organisé autour de deux anciens hauts-fourneaux sculpturaux, qui marquent le paysage de leur esthétique presque futuriste, sous leur vernis brillant, et tourne la page d’un siècle d’histoire industrielle et prolétaire. Dans le cadre de l’événement « Esch 2022, Capitale européenne de la culture », l’exposition multimédia « Remixing Industrial Pasts : Constructing the Identity of the Minett » s’est installée dans une ancienne usine de la friche reconvertie pour remettre la lumière sur cette histoire effacée.

Pour Stefan Krebs, commissaire et professeur d’histoire au Centre luxembourgeois d’histoire contemporaine et numérique (C2DH), il s’agit de « casser un narratif linéaire » : l’histoire maintes fois racontée dans le Grand-Duché d’un bassin ferrugineux découvert au XIXe siècle – le Minett – et dont le Luxembourg a tiré sa richesse. L’exposition qui prend lieu dans la « Massenoire », cathédrale industrielle restée dans son jus depuis les années 1970, raconte ce territoire à hauteur d’hommes, et de femmes, ouvriers luxembourgeois ou immigrés.

Derrière l’histoire officielle, la véritable condition ouvrière

Les thématiques présentées sont, selon Stefan Krebs, des angles morts de la recherche historique, comme la pollution : un bouleversement du paysage et des conditions de vie rarement évoqués dans l’histoire officielle du bassin minier. Au quotidien, elle représente très concrètement deux seaux remplis de poussière noire époussetée chaque jour par les habitants de cette région industrielle, et des problèmes de santé jusqu’alors inconnus. Dans l’exposition, cette problématique s’incarne dans les récits sonores d’habitants et la présence d’un balai, d’un seau et d’une « ramassette ». Ailleurs, ce sont les frontières poreuses du territoire qui font l’objet d’un développement intéressant de cette histoire ouvrière, où l’on apprend que les galeries de mines permettaient de passer outre les barrières des douaniers pour la contrebande, mais aussi de tenir des réunions politiques dans le dos des patrons.

Chaque section est traitée par un îlot où des objets d’époque ou équivalents, tous manipulables par le visiteur, sont accompagnés d’une douche sonore diffusant des témoignages. Utilisant tout l’espace de l’ancienne usine, la disposition de ces îlots ne forme pas un parcours fléché, conférant une approche non linéaire (et non chronologique) de l’histoire. À l’entrée de l’exposition, la première section présente d’ailleurs le Minett comme un « palimpseste » historique d’une région qui a connu trois transitions en un siècle, et autant de disparitions, puis de reconstructions du paysage.

Scénographie immersive

Le parcours souffre néanmoins d’un léger manque d’incarnation : on y voit peu de portraits d’hommes et de femmes ayant vécu et travaillé sur le site, une formule pourtant efficacement utilisé dans d’autres expositions consacrées à l’histoire sociale. « Remixing Industrial Pasts : Constructing the Identity of the Minett » fait en revanche le pari d’une installation artistique immersive surplombant l’ensemble de l’exposition, tirant profit de la monumentale hauteur sous plafond de la « Massenoire ». L’artiste Chiara Ligi a puisé dans les archives du Centre national audiovisuel luxembourgeois pour assembler une mosaïque de vidéos amateurs et de films promotionnels produits par les industriels, plongeant le visiteur dans un récit audiovisuel durant toute la visite. Un enrobage impressionnant qui a aussi sa pertinence historique :« Les premiers retours ont été très positifs. Un ancien ouvrier m’a dit : “J’ai vraiment vécu ça, et je suis content que vous l’ayez capturé” », confie l’artiste italienne.

Remixing Industrial Pasts : Constructing the Identity of the Minette,
jusqu’au 15 mai, 3, avenue du Rock’n’Roll, 4361 Esch-sur-Alzette, Luxembourg.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : À Esch-sur-Alzette, l’histoire ouvrière en sa cathédrale

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