Art moderne

Expressionnisme

Emil Nolde, le peintre du silence

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2008 - 803 mots

Le Musée de l’Abbaye Sainte-Croix rend hommage à Emil Nolde en présentant les « images non-peintes ».

LES SABLES D’OLONNE (VENDÉE) - Originaire du Schleswig-Holstein, en Allemagne, à la frontière danoise, Emil Nolde (1867-1956) fut d’abord sculpteur sur bois et enseignant avant de se consacrer pleinement à la peinture. Un temps associé aux expressionnistes avec ses paysages aux aplats de couleurs vives, puis à la Sécession berlinoise – d’où il sera exclu en 1911 –, Nolde a tracé sa route en solitaire, s’attaquant aussi bien à des sujets religieux qu’aux arts primitifs, avec un penchant pour les marines et les paysages dont il dépeint la force et la violence. À l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, malgré son adhésion au « beau soulèvement du peuple allemand » ainsi qu’il l’écrit dans une lettre de la même année, il tombe vite en disgrâce. Dès 1937, les nazis confisquent la majorité de ses œuvres ; 29 d’entre elles seront présentées lors de l’exposition Entartete Kunst, l’art dégénéré, à Munich. En 1941, il lui est officiellement interdit de peindre. Dans le silence de son atelier, alors âgé de plus de 70 ans, Nolde se lance dans la réalisation de petites aquarelles sur papier japon, faute de pouvoir peindre à l’huile. Il baptise ces productions les Ungemalte Bilder, littéralement les images non peintes. Entre 1938 et 1945, Nolde en réalise plus de 1 300, actuellement conservées (pour l’essentiel) à la Nolde Stiftung, fondation basée à Seebüll (Allemagne) où le peintre et sa femme Ada s’étaient installés en 1927. Le Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, aux Sables d’Olonne, en dévoile une sélection de quatre-vingt feuilles, offrant à Nolde sa première exposition monographique dans un musée français. Et ce, à quelques mois de la vaste rétrospective que prépare, de son côté, les Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, pour le mois de septembre, avec de nombreuses peintures parmi lesquelles le célèbre polyptyque de La Vie du Christ, réalisé de 1911 à 1912. Pour Benoît Decron, conservateur en chef du musée vendéen, « les images non-peintes sont beaucoup plus que de simples esquisses : il s’agit bien de mini-tableaux que le peintre souhaite réaliser par la suite [après la guerre, il en reproduira quelques-unes mais aucune n’est ici présentée]. Ces aquarelles résument tout son œuvre, comme une sorte de testament artistique ». On y retrouve les thèmes chers à l’artiste : des scènes bibliques, de danse et de théâtre, des femmes et d’étranges enfants, des nus et de nombreux paysages, à la frontière de l’abstraction, « condensés de l’imaginaire extraordinaire de l’artiste », comme les définit dans le catalogue l’historien d’art Itzhak Goldberg. Les aquarelles sont regroupées par série de quatre, sans logique particulière, conformément à la vision qu’en avait Nolde ; l’artiste les comparait à des « cartes à jouer ». Prenant la technique de l’aquarelle à contre-courant, il peignait par couches successives, durant plusieurs jours, afin d’obtenir des images denses et épaisses. La couleur était librement appliquée – Manfred Reuther, le directeur de la fondation Nolde, parle même « d’écriture automatique » – puis il ajoutait quelques détails à la plume ou au pinceau pour donner à l’œuvre sa signification finale. En marge des aquarelles, Nolde a rédigé des notes, journal accompagnant ses « escapades oniriques, visionnaires, fantastiques, au-delà des règles et du savoir glacés ». « Celui qui ne sait ni rêver ni voir n’y comprendra rien », écrivait-il encore. Nolde ne voulait pas exposer ces œuvres ; elles n’ont été redécouvertes qu’au début des années 1980.
Les panneaux pédagogiques agencés en un parcours parallèle, et la projection du film réalisé par Wilfried Hanke en 2006 pour Arte, permettent de cerner l’ambiguïté et la part d’ombre de cet artiste qui, malgré son interdiction de peindre en 1941, fut aussi un fidèle défenseur de l’idéal national-socialiste, comme en témoigne son autobiographie parue en 1934. Dans le catalogue de l’exposition, l’historien Lionel Richard revient sur les pamphlets antisémites de Nolde, alimentés, semble-t-il, par ses rapports tumultueux avec Max Liebermann, président de la Sécession berlinoise dont le comité de sélection avait refusé plusieurs de ses toiles. « Sa sympathie pour le mouvement nazi est restée superficielle. Sa pratique d’artiste n’en a été aucunement contaminé », conclut Lionel Richard, définissant les images non-peintes avant tout comme « le témoignage personnel d’une résistance à la destruction, l’exemple d’une préservation de soi. Jaillissement de la vie, libre mouvement de l’imagination et de la main ».

EMIL NOLDE (1867-1956) – LES IMAGES NON PEINTES

Jusqu’au 7 septembre, Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, rue de Verdun, 85100 Les Sables d’Olonne, tél. 02 51 32 01 16, tlj sauf lundi et j. f., 10h-12h et 14h30-18h30. Cat. 164 p., ISBN 2-913981-35-6. - Nombre d’œuvres exposées : 80 - Budget exposition : 70 000 euros - Commissaire : Benoît Decron, conservateur en chef du Musée de l’Abbaye Sainte-Croix

Quelques dates

1867 : naissance d’Emil Hansen, nom qu’il change en 1902 pour adopter celui de son village natal Nolde (frontière germano-danoise) 1905 : Les Fantaisies, des eaux-fortes, marquent les débuts de son œuvre gravée. Il rejoint les jeunes artistes du groupe Die Brücke. 1909 : premières toiles religieuses : La Cène, La Pentecôte 1910 : premiers succès avec des expositions (Hambourg, Hagen) 1911 : Exclu de la Sécession berlinoise. Il peint le polyptyque de La Vie du Christ 1913 : Voyage en mer du sud 1927 p installation à Seebüll 1937 : confiscation d’un millier d’œuvres lors de l’exposition « Art dégénéré » 1941 : interdiction de peindre 1956 : décès de l’artiste. Création de la fondation Nolde à Seebüll

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : Le peintre du silence

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