Art contemporain

Eduardo Arroyo : « Un artiste qui passe sa vie à jouer aux échecs, avouez que c’est un peu maigre »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 21 août 2014 - 686 mots

PARIS

Fondateur de la Figuration narrative, Eduardo Arroyo a fait partie de ceux qui ont « assassiné », par la peinture, Marcel Duchamp en 1964-1965. Quarante ans après, ses motivations n’ont pas changé, comme le prouve son exposition à la Galerie Louis Carré intitulée : « La parole est à la peinture ».

L’Œil Pourquoi avoir peint Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp, qui n’était rien d’autre que l’assassinat, en peinture, de l’artiste ?
Eduardo Arroyo Lorsque nous avons découvert en 1964, avec mes amis Gilles Aillaud et Antonio Recalcati, l’enquête d’un magazine selon laquelle Duchamp était l’artiste le plus influent de l’art contemporain de cette époque, devant Picasso !, nous avons compris que le monde avait changé. Marcel Duchamp incarnait tout ce que l’on critiquait dans l’art. Nous n’étions pas d’accord avec son action, et nous devinions déjà qu’elle allait être son influence sur l’art à venir. Le monde avait changé, à mon avis en mal, et son prophète s’appelait Duchamp. C’est pourquoi nous avons décidé de peindre cet assassinat de Marcel Duchamp, qui a fait un esclandre monumental à l’époque, notamment au niveau de ce qui restait du groupe surréaliste, les troisièmes couteaux du clan Breton. Puis nous avons publié un manifeste, « Pourquoi assassiner Duchamp », pour expliquer notre attitude.

Que reprochiez-vous alors à Marcel Duchamp ?
Nous lui reprochions cette idée de l’artiste démiurge qui peut tout signer sans travailler. De l’artiste divin qui, par son simple regard, choisit ce qui peut entrer ou non dans le musée. C’est un geste dévastateur, qui a engendré toute cette mascarade que l’on voit aujourd’hui. Par ailleurs, il s’agit d’une œuvre paresseuse : or, pour nous, la peinture était fondamentale. J’étais et je reste profondément attaché à la peinture ; je continue à défendre que, dans le tableau, tout peut se passer. Malgré les attaques constantes de cet « avant-gardisme », les pontes et les bureaucrates de l’art qui s’évertuaient à vouloir le faire ne sont pas parvenus à enterrer la peinture.

Quelle a été la réaction, à l’époque, de Marcel Duchamp ?
Duchamp a eu un choc. Il a dit que nous étions des gens sans intérêt, que nous faisions cela pour que l’on parle de nous. Ce qui est un comble lorsque l’on a passé sa vie à scandaliser, à provoquer le monde ! Nous n’avons, au contraire, pas voulu vendre cette œuvre aux musées, notamment au Centre Pompidou qui, un jour soi-disant voulait l’acheter, un autre jour ne le voulait plus. Nous craignions en effet que l’œuvre soit remisée à la « cave ». Cet assassinat est maintenant visible au Reina Sofía de Madrid. Qu’on le veuille ou non, il existe et existera toujours.

L’exposition qui, au Centre Pompidou, va tenter ce mois-ci de réhabiliter Marcel Duchamp peintre, est-elle selon vous tirée par les cheveux ?
En tant qu’artiste, je ne condamne pas un autre artiste. Duchamp était certainement un type intéressant. Il y a des choses amusantes chez Duchamp, des œuvres curieuses, des attitudes intéressantes. Mais un artiste qui passe sa vie à jouer aux échecs, avouez franchement que c’est un peu maigre. Je ne peux rien dire sur cette exposition que je n’ai pas encore vue, mais je suis curieux de voir comment cette énième sacralisation de Duchamp va justifier quelqu’un qui n’était pas peintre et qui, d’ailleurs, détestait la peinture.

Regrettez-vous cet excès qui fait qu’aujourd’hui, beaucoup se revendiquent de Duchamp ?
C’est exactement l’intuition que nous avons eue dans les années 1960 : tout le monde étant artiste, tout le monde peut élire un objet pour en faire de l’art ! Je suis suffisamment âgé pour comprendre qu’il y a, parmi toutes ces œuvres, des œuvres ou des installations intéressantes, mais pas dix mille ! Cette sacralisation est devenue ennuyeuse, je crois que tout a été dit sur Marcel Duchamp. Je vous le dis franchement : tout cela me semble ridicule .

Repères

Né en 1937 à Madrid, Eduardo Arroyo a quitté l’Espagne franquiste en 1958, il se partage depuis entre Madrid et Paris.
Il est représenté par la Galerie Louis Carré, à Paris.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°671 du 1 septembre 2014, avec le titre suivant : Eduardo Arroyo : « Un artiste qui passe sa vie à jouer aux échecs, avouez que c’est un peu maigre »

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