D’une rive à l’autre

Arles rend hommage au patrimoine antique algérien

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 13 juin 2003 - 829 mots

Le Musée de l’Arles antique rend hommage au patrimoine algérien à travers près de 150 pièces, statues, stèles, mosaïques, amulettes, armes et objets du quotidien, datant du IIIe siècle avant J.-C. au VIe siècle après J.-C. Servies par une scénographie claire et didactique, les œuvres, qui proviennent pour la plupart de musées algériens, ont bénéficié pour l’occasion d’une grande campagne de restauration.

ARLES - “Le passé ancien de l’Algérie reste aujourd’hui encore méconnu du grand public : peu de gens savent que la fouille de certains sites algériens a permis des avancées décisives dans la connaissance de l’homme préhistorique, que des civilisations puissantes, les Numides et les Maures, existaient avant l’arrivée des Romains, que les Vandales puis les Byzantins se sont succédé avant l’Islam à la tête du pays”, explique Claude Sintes, directeur du Musée de l’Arles antique.

Organisée à l’occasion de “Djazaïr, une année de l’Algérie en France”, l’exposition que présente actuellement l’institution entend combler ces lacunes et propose un voyage dans le Maghreb antique du IIIe siècle avant J.-C. au VIe siècle après J.-C. À la fois chronologique – depuis les royaumes numides et maures jusqu’à l’Antiquité tardive – et thématique (les institutions et l’armée romaines, l’agriculture, les cultes, les décors domestiques ou publics, la société), le parcours est enrichi de cartels clairs et efficaces.
La quasi-totalité des objets réunis vient de l’autre côté de la Méditerranée, des musées nationaux d’Alger, de Sétif et de Constantine ainsi que des musées des sites de Cherchell, Tipasa, Annaba, Guelma, Tébessa, Djemila, Lambèse et Timgad. L’ensemble a été enrichi par quelques prêts de la Bibliothèque nationale de France (une série de monnaies maures et numides) et du Musée du Louvre (des exemples de statuaire grecque). Pour accueillir toutes ces œuvres, le musée arlésien a quasiment triplé son espace d’exposition en utilisant l’aile sud, habituellement dévolue aux sarcophages. Ce nouvel agencement permet à de magnifiques mosaïques romaines, réalisées entre le IIe et le VIe siècle, de se déployer dans toute leur longueur. Elles ont été restaurées pour l’occasion par les équipes de l’atelier de conservation et de restauration du Musée de l’Arles antique, en collaboration avec leurs homologues algériens, qui ont séjourné plusieurs mois en France. “Depuis longtemps, bien avant l’organisation de l’Année de l’Agérie en France, nous travaillons en étroite relation avec ce pays. Cela fait près de dix ans que les professionnels des deux rives échangent idées et savoir-faire, précise Claude Sintes. Après la restauration commune des mosaïques, nous envisageons de nouvelles collaborations, comme une formation en muséographie pour nos homologues algériens ou la création, sur place, d’un atelier de restauration de pavements antiques.”

Un rendu très subtil
Véritable peinture de pierre, la célèbre Mosaïque des Néréides (IIe siècle), ou Mosaïque des monstres marins, réalisée en opus vermiculatum (au moyen de cubes de marbre de 2 à 3 mm de côté), a fait l’objet d’un traitement particulier. Découverte sur le site de Lambèse en 1905, elle pavait une salle chauffée, appartenant probablement aux thermes privés d’une demeure romaine. Les dimensions réduites de ses tesselles, leur pose très serrée et sa grande variété de couleurs créent un effet pictural remarquable.
Symboles de la Rome civilisatrice venue domestiquer la nature sauvage et les peuples “barbares”, trois Néréides, filles du dieu Nérée et petites-filles de l’Océan, accompagnées de petits Amours, y domptent trois monstres marins. Découverte dans le même édifice que la Mosaïque des Néréides et exécutée probablement par le même atelier, La Mosaïque de la nymphe Cyrène a, elle aussi, été élaborée avec des tesselles filiformes qui permettent un rendu très subtil.

Pour évoquer la riche décoration de la domus (maison particulière) africaine, les pavements antiques sont exposés en regard d’objets tels que l’Enfant à l’aiglon (IIIe siècle), statuette de bronze qui n’est pas sans évoquer le petit personnage enfantin d’une Mosaïque marine (fin IIIe siècle), ou encore le Trépied à décor figuré (fin IIe-début IIIe), au sommet duquel s’accrochait un plateau de table ou un bassin. Nombre de pièces témoignent du syncrétisme des traditions locales et de la culture romaine. C’est le cas de la Stèle à Saturne (IIe siècle), une interprétation régionale du dieu romain, ou encore des portraits, statuettes et petits bustes en bronze et en terre de la déesse Africa, personnification de l’Afrique, coiffée d’une dépouille d’éléphant. Installés au Maghreb de 429 à 533, les Vandales n’ont laissé derrière eux que quelques rares vestiges telles les Tablettes Albertini, petites planchettes de bois renfermant des actes de ventes, dont trois beaux exemplaires sont présentés dans l’exposition. Les Byzantins, qui chassèrent les barbares d’Afrique, furent écrasés, dès 647, par des conquérants venus d’Orient, les intrépides cavaliers arabes. C’est le début d’une autre histoire à laquelle l’Institut du monde arabe, à Paris, s’intéressera dès le mois de septembre, reprenant en partie l’exposition du Musée de l’Arles antique et élargissant le propos aux prémices de l’islamisation.

ALGÉRIE ANTIQUE

Jusqu’au 17 août, Musée de l’Arles antique, Presqu’île-du-Cirque-Romain, 13635 Arles, tél. 04 90 18 88 88, tlj 9h-19h. Catalogue 320 p., 30 euros.

À la découverte des sites antiques d’Algérie

Parallèlement à l’exposition “Algérie antique”?, l’ouvrage paru chez Édisud offre un large panorama du patrimoine archéologique du pays. Après une introduction historique, les sites sont répertoriés d’est en ouest, largement décrits et accompagnés de photographies ou de cartes géographiques. Pour Tipasa figurent ainsi plusieurs plans détaillés du site, des notices sur chacune de ses composantes – amphithéâtre, temples, forum, capitole, villas, thermes ou curie – et de nombreux clichés des vestiges tels qu’il sont conservés aujourd’hui. Les auteurs, parmi lesquels Claude Sintes, directeur du Musée du Musée de l’Arles antique, ont souhaité concevoir cet ouvrage comme “une sorte de vade-mecum illustré, un manuel que l’on pren[d] plaisir à consulter durant son voyage, que celui-ci soit réel ou qu’il soit imaginaire”?. - Jean-Marie Blas de Roblès et Claude Sintes, Sites et monuments antiques de l’Algérie, éditions Édisud, Aix-en-Provence, 2003, 243 p., 35 euros. ISBN 2-7449-0383-3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°173 du 13 juin 2003, avec le titre suivant : D’une rive à l’autre

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque