ART CONTEMPORAIN

Dezeuze refait surface

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 13 décembre 2017 - 647 mots

Une rétrospective présente l’œuvre de l’artiste, des premiers travaux des années 1960 jusqu’à ses récentes sculptures, fruit d’une démarche intellectuelle exigeante.

Grenoble. Y a-t-il une vie après les années Supports/Surfaces, ce groupe d’avant-garde radicale dont Daniel Dezeuze, né en 1942, fut l’un des membres fondateurs ? Indiscutablement, et l’exposition en cours en est la preuve éclatante. Certes, le geste développé par Dezeuze à la fin des années 1960 - celui d’exposer de simples châssis recouverts d’une feuille de plastique tendue en guise de toile - a marqué les esprits. Reproduites systématiquement par les livres d’histoire de l’art, ces œuvres célèbres sont devenues sa marque de fabrique, pratiquement son logo. Inévitablement, à Grenoble, cette préoccupation de l’artiste pour le constituant physique du tableau, que l’on retrouve également avec ses Échelles de tarlatane, est bien représentée. Constituées en lamelles de bois souple, fixées au mur et partiellement déroulées sur le sol, les œuvres, qui se concentrent sur une expression matérielle minimale, échappent à toute étiquette.

Peinture, sculpture ou « objet spécifique », titre emprunté à l’artiste américain Donald Judd ? La rétrospective, qui montre l’étendue des activités ­plastiques de Dezeuze, la diversité des techniques et des matériaux dont il se sert, laisse le spectateur impressionné. Impressionné et même désorienté face à la magnifique série de dessins, La Vie amoureuse des plantes (1992), qui relève d’une abstraction organique et poétique. Ce jardin secret et séduisant tranche avec les positions extrêmes, voire dogmatiques, de celui qui a participé au comité de rédaction de la revue Peinture-Cahiers théoriques.

Interrogé à ce sujet, Dezeuze explique que, si sa génération a fait table rase de la tradition artistique, c’est justement pour ne pas « être pris dans ce qui fait style, dans ce qui fait époque ». Et, ajoute l’artiste, malgré l’importance cruciale du bricolage dans sa pratique, il s’est toujours considéré comme un peintre. Ici, les quelques toiles de jeunesse accrochées dans la première partie du parcours - Port d’Avilés, 1962, Toits d’Avilés, 1963 - figurent des paysages urbains traités dans un style géométrisant.

Démystifier l’objet artistique
Puis, après la période de déconstruction de l’activité picturale, qui exclut toute image de référence, Dezeuze s’applique à démystifier l’objet artistique. Il ne s’agit pratiquement jamais de ready-made, mais plutôt d’éléments récupérés de l’univers quotidien, que l’artiste « trafique ». Ainsi, les Portes, trouvées sur des chantiers, qu’il découpe ou perfore, sont en quelque sorte l’équivalent des Fenêtres de Pierre Buraglio.

Ailleurs, ce sont des assemblages faits de bois calciné et découpé : Armes de poing (1986-1989), essentiellement des revolvers, des objets absurdes, des jouets étranges qui cachent peut-être une fascination secrète pour la violence et que l’on retrouve avec les Arcs et Arbalètes et, même beaucoup plus tard, avec les Flèches.

Habile, Dezeuze détourne d’autres objets insolites avec beaucoup d’ironie. Des planches de ski se transforment en une architecture gothique faite d’arcs et de structures ogivales (Articulation gothique n°1, 1985) ou encore en un totem ou un prophète aux bras levés (Moïse, 1985). Curieusement, on retrouve la référence au domaine religieux avec Icônes (2009-2014), ou avec Tsimtsoum, un terme issu du mysticisme juif. Selon l’artiste, il s’agit tout simplement de traiter une des activités humaines principales de la même manière que celles liées à la nature, Objets de cueillettes, ou à l’habitat, Pavillons. Il n’en reste pas moins qu’on est frappé par le contraste entre cette production « matérialiste » et une présence discrète du sacré ou du vide. Contraste qui existe également entre l’aspect (trop ?) décoratif de La Peinture qui perle et la brutalité de Réceptacles, cette « brocante » où Dezeuze réunit des objets hétéroclites dans un bric-à-brac chaotique.

L’exposition s’achève sur les Tableaux-Valises, des objets hybrides. Transparents, partiellement recouverts de peinture, ces valises légères ne contiennent rien d’autre que des rêves de voyages. Ou, peut-être, des souvenirs, ceux que l’on garde à la fin d’une pérégrination.

Daniel Dezeuze, une rétrospective,
jusqu’au 28 janvier, Musée de Grenoble, 5, place Lavalette, 38000 Grenoble.
Légende photo

Daniel Dezeuze, Tableaux-valises, 2004-2015, ensemble de 20 valises colorées, collection Marc et Martine Jardinier © Photo : B. Huet/Tutti

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°491 du 15 décembre 2017, avec le titre suivant : Dezeuze refait surface

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