Arts premiers

Des côtes de l’Afrique à Sumatra

Le Journal des Arts

Le 27 février 2008 - 727 mots

Le Musée du quai Branly, à Paris, propose deux expositions, l’une consacrée aux ivoires africains dans les collections publiques françaises, et l’autre à l’art Batak.

PARIS - Le Musée du quai Branly, à Paris, propose actuellement deux expositions portant pour l’une un regard sur les ivoires africains conservés dans les collections publiques françaises, pour l’autre un éclairage sur l’art et la culture des Batak, groupe vivant au nord de l’île de Sumatra.
La vingtaine de pièces que le Musée dévoile dans « Ivoires africains dans les collections publiques françaises » proviennent de régions correspondant aux actuels Sierra Leone et Nigeria. Elles se caractérisent par leur qualité exceptionnelle, mais elles sont aussi l’occasion d’évoquer en filigrane l’apparition à la fin du XVe siècle d’un collectionnisme européen. À cette période, les caravelles portugaises commencent à faire régulièrement escale sur les côtes sud du Sahara et en ramènent de précieux ivoires, collectés par de riches amateurs comme Côme de Médicis ou François Ier. Conscients du savoir-faire des artistes africains, les Européens ne tardent pas à leur passer commande. Aurélien Gaborit, coordinateur scientifique de l’exposition, souligne l’estompement progressif de cette reconnaissance au début du XIXe siècle sous l’effet de la colonisation.
Les objets exposés sont de deux natures. Tandis que les premiers étaient initialement destinés à un usage local, les seconds dits « afro-portugais » ont été fabriqués à la demande des navigateurs. L’accent est mis sur les olifants, trompes fabriquées dans des défenses (le terme « olifant » vient du mot éléphant) et accessoires de prestige que les chefs utilisaient comme cor de guerre ou de chasse. Certains présentent des motifs typiques de crocodile ou de grenouille. Sur les olifants afro-portugais, des détails tels que des anneaux de suspension, mais surtout des motifs de chasse à courre directement tirés des illustrations d’incunables que l’institution présente simultanément, témoignent de l’influence européenne. D’autres objets comme des ustensiles destinés aux tables nobles, cuillères, fourchettes et salières, reflètent le goût de leurs commanditaires et la capacité des artisans africains à satisfaire leurs exigences.

Mi-buffle mi-serpent
De l’autre côté du plateau des expositions, l’univers des Batak, communauté constituée de plus de huit millions de membres, est mis en lumière au sein de « Au nord de Sumatra, les Batak ». La plupart des pièces exposées proviennent de l’ancienne collection Barbier-Mueller, dont le Musée du quai Branly a fait l’acquisition en 2001.
Rassemblés autour du vaste lac Toba, les Batak ont été protégés des incursions étrangères jusqu’au milieu du XIXe siècle. Le terme « Batak » désigne six groupes différents, parmi lesquels certains sont aujourd’hui chrétiens et d’autres musulmans. La culture Batak se distingue par la complexité et l’importance des rites liés au monde des morts. Les figures centrales y sont le singa, animal fantastique et protecteur possédant à la fois les attributs du buffle et du serpent, et le datu, magicien, devin et guérisseur, chargé de maintenir le lien avec les ancêtres et le monde de l’Au-delà. La présentation fait une large place à l’évocation de l’architecture des maisons Toba, l’un des groupes Batak. Construites sur pilotis et ornées d’éléments décoratifs symboliques, ces habitations constituent l’une des expressions les plus riches de la culture Batak. Sur leurs façades, des singa sculptés en aplat ou en trois dimensions, dont le Quai Branly présente plusieurs exemples, veillent sur les habitants, tandis que des figures de lézards nocturnes (cicak) surveillent les récoltes stockées dans les greniers. Plus loin, les textiles et les armes font partie des cadeaux que s’échangent les familles à l’occasion des mariages. La maîtrise de la technique textile acquise par les Batak est l’une des plus raffinées de la planète, et les tissus de mariage reflètent par l’organisation de leurs motifs la conception d’un monde tripartite. Sur tous les objets, une grande attention est portée aux détails, avec une récurrence de lignes sinueuses et de figures inversées qui conduisent souvent à une véritable mise en abyme du motif.

Ivoires d’afrique dans les collections publiques françaises ; Au nord de Sumatra, les Batak, jusqu’au 11 mai, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, tél. 01 56 61 70 00, tlj sauf lundi 11h-19h, jusqu’à 21h les jeudis, vendredis et samedis. Catalogues, Ivoires d’Afrique dans les collections publiques françaises, coéd. Musée du quai Branly/Actes Sud, 96 p., 27 euros ; Au nord de Sumatra, les Batak, coéd. Musée du quai Branly/5 Continents, 112 p., 25 euros.

Ivoires d’afrique
- Commissariat : Ezio Bassani, historien des arts africains
AU NORD DE SUMATRA
- Commissariat : Pieter Ter Keurs, conservateur au Musée national d’ethnologie de Leiden (Pays-Bas) ; Constance de Monbrison, Musée du quai Branly

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Des côtes de l’Afrique à Sumatra

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque