Le quatrième centenaire de Nicolas Poussin

Derniers enseignements scientifiques

Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1994 - 828 mots

En complément à l’exposition du Grand Palais, le Laboratoire de recherche des musées de France – LRMF – a procédé à l’examen scientifique de 38 tableaux provenant des collections françaises (Louvre et Chantilly). L’étude met en évidence un Poussin plus novateur que conservateur. Un élément clé : les enduits de préparation.

PARIS - L’analyse scientifique a souligné le rôle fondamental des couches précédant l’exécution du dessin sous-jacent. Les préparations colorées, appelées aussi "enduits de préparation", contredisent la tradition critique qui n’a vu en Poussin que le dessinateur soucieux de l’équilibre linéaire des dispositions. L’usage, attesté dès ses débuts romains (à partir de 1624), d’enduits colorés, confirme la forte sensibilité coloriste du maître, autant inspiré par les Vénitiens que par la clarté de la ligne héritée des florentins et de Raphaël.

L’importance esthétique des préparations colorées se confirme d’ailleurs avec le temps : par un phénomène naturel de transparence accrue de la matière picturale en surface, l’intensité chromatique des couches sous-jacentes est révélée et revendique ainsi, physiquement, le rôle essentiel qu’elle tient dans la perception finale.

Esthétique certes, l’importance des enduits l’est aussi dans la caractérisation de la technique et peut, le cas échéant, réfuter ou confirmer une attribution problématique.
 
La connaissance scientifique appliquée à la pratique des peintres parisiens a révélé l’usage, entre 1640 et 1650, au moment où est créée l’Académie royale de peinture et de sculpture (1648), de préparations rouges à base de sulfate de baryum, composant chimique permettant l’intensification de la coloration rouge à moindre coût. Cet indice a permis de reconnaître dans le Paysage avec une femme se lavant les pieds, de Chantilly, une copie exécutée dès le XVIIe siècle par un contemporain de Poussin.
 
L’œuvre conservée en France, peinte sur une préparation colorée à base de sulfate de baryum, trahit en effet une main parisienne des années 1640 qui ne peut être celle de Poussin, alors à Rome. L’original, peint pour Pointel, se trouve à Ottawa.

Sur quel type de préparation Poussin peignait-il avant son départ pour Rome, quand on sait qu’autour des années 1620, la pratique courante des peintres français – les artistes de la deuxième école de Fontainebleau et Latour en tête – était de peindre sur préparation blanche ? Pendant la première période romaine jusqu’en 1640, Poussin peint, selon la tradition italienne, sur une préparation brun clair. Ensuite, lors du séjour parisien, il utilise une préparation rouge incluant du sulfate de baryum. Revenu à Rome en 1642, il mêlerait les deux types de préparation avec une préférence, dans les ultimes paysages, pour les bruns clairs.

Incision des lignes
L’examen a permis de souligner, dans la mise en place de certaines constructions, la pratique de l’incision tracée avec une pointe, à la règle. À la différence de Caravage, qui incisait à main levée certains contours des figures, Poussin reprend par incision, et avant l’application des couleurs, le réseau des lignes, véritable ossature des compositions. Pour quelques détails isolés (hampe du berger dans Les Bergers d’Arcadie), certaines parties d’architecture (Le Christ et la Femme Adultère, le Jugement de Salomon), voire pour toute la composition, comme dans l’Enlèvement des Sabines où les incisions structurent l’ensemble des droites convergentes, inféodant au cadre et aux figures un rapport d’un rare équilibre. Certains détails frappent, comme la ligne nettement incisée passant sous la main de Romulus.

Examen de la touche
La touche du peintre est révélée par les films radiographiques : une large brosse élabore les ciels par applications longues et horizontales, alors qu’un pinceau plus petit dessine nerveusement visages, plis et accessoires. L’attention portée à certaines parties du tableau semble d’ailleurs varier selon les époques : de 1624 à 1632, le pinceau soigne les carnations ; de 1634 à 1640, la touche étroite et précise s’étend aux drappés ; de 1641 à 1648, les visages s’évanouissent comme fondus par une touche presque illisible.

À partir des années 1640, l’inspiration de l’artiste privilégie surtout la nature : lointains et frondaisons retiennent toute son attention. Les paysages sont peints au préalable, sans réserves ; les personnages sont ajoutés par la suite en "surimpression". Cette technique a été relevée dans le Paysage avec Orphée et Eurydice et le Paysage avec Diogène de 1648 (où la figure du philosophe laisse apparaître le paysage peint dessous), ainsi que dans les Quatre Saisons (1660-1664). L’étude a mis en lumière, aussi, ce fameux tremblement de la main dont l’artiste se plaint dès 1642, visible dans les touches serrées aux mouvements courts.

Bien que s’appuyant sur un nombre réduit d’œuvres analysées, l’étude menée par le LRMF a l’avantage de constituer une solide base de données.

Pour l’illustrer, la Direction des musées de France édite un CD-ROM : 40 œuvres y sont reproduites en haute définition et commentées à partir du dossier scientifique.

On peut égalment se reporter à l’article de Patrick Le Chanu et Elisabeth Ravaud : "Quelques remarques sur la mise en place des compositions et la technique dans l’œuvre de Nicolas Poussin", revue du LRMF, "Techné", publiée à l’occasion de l’exposition.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : Derniers enseignements scientifiques

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