Rétrospective

Denis Roche l’indocile

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2016 - 607 mots

Le photographe, poète et écrivain décédé l’an dernier avait participé à la conception de l’exposition qui se déploie aujourd’hui au Pavillon populaire de Montpellier.

MONTPELLIER - En 2001, l’historien et critique de la photographie Gilles Mora concevait au Musée Nicéphore-Niépce (Chalon-sur-Saône) puis à la Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris, la première rétrospective consacrée au photographe Denis Roche. Une exposition et une monographie, Les preuves du temps, coéditée par Le Seuil et la MEP, abordaient chronologiquement la dimension temporelle de cette œuvre singulière. Pour sa deuxième rétrospective préparée de concert avec Denis Roche avant sa disparition le 2 septembre 2015, présentée au Pavillon populaire de Montpellier, Gilles Mora a mélangé les époques ; ceci afin de rendre compte, précise-t-il, « de la liberté absolue de la prise de vue », une caractéristique devenue ici le fil conducteur de la narration pour revenir sur ce qui prévaut à l’acte photographique.

« À plusieurs reprises, Denis Roche a souligné le régime de liberté dans lequel le plonge la pratique de la photographie. Il en a fait une part de son essence même, rappelle le commissaire. C’est d’ailleurs autour de cette notion d’acte photographique qu’en 1980 nous avions fondé ensemble la revue Les Cahiers de la Photographie avec Claude Nori, Bernard Plossu, Jean-Claude Lemagny, Arnaud Claass et quelques autres. » Denis Roche l’écrivain aborde lui-même à plusieurs reprises la notion dans les ouvrages : La Disparition des lucioles (réflexions sur l’acte photographique), publié par les Cahiers du cinéma (1982) ; Photolalies (éd. Argraphie, 1988) ou Le Boîtier de mélancolie, la photographie en 100 photographies (1999) que vient de rééditer Hazan.

« Toute photographie est un récépissé de liberté », écrit-il dans La Disparition des Lucioles, à la fois dans le geste et dans le résultat. « Contrairement à la littérature, l’acte photographique est chez lui un plaisir, un moment physique immédiat », souligne Gille Mora. Elle est une autre écriture, une écriture spontanée, impulsée par une sensation, un vécu, un désir, une humeur captée au cours de séjours en France ou à l’étranger, dans une chambre d’hôtel ou dans l’appartement parisien de la rue Henri-Barbusse avec en figure centrale le corps (le sien, celui de l’appareil photographique mais surtout celui de Françoise, l’épouse) et une liberté dans le cadrage, la contre-plongée, le flou ou de la superposition.

L’exposition montpelliéraine en donne la mesure tandis que les portraits des amis écrivains ou de l’équipe des Cahiers de la Photographie introduisent à sa famille intellectuelle, élargie à Lawrence Ferlinghetti, William S. Burroughs et Allen Ginsberg vus de dos. Les entretiens télévisés savoureux (en particulier ceux menés par Bernard Pivot) donnent à l’entendre à différentes époques. Les publications, notes et archives photographiques racontent par bribes les rencontres, les moments partagés avec Francis Ponge ou Philippe Sollers, Hubert Damisch, Gilles Mora et Claire Paulhan.

L’instant poétique
Rétif aux codes et conventions, l’écrivain, le poète, le photographe et l’éditeur que fut Denis Roche a tracé sa propre voie et fait de son activité créatrice une œuvre globale. « La poésie n’a d’importance que par l’acte qu’elle suppose », proclame Roche dans La Poésie est inadmissible (éd. Le Seuil, 1995). L’écriture photographique qui se déploie sur quarante-six années au Pavillon populaire rend palpables le sentiment et l’instant irrévocablement liés à un jour et un lieu précis. La légende le notifie en quelques mots. « 19 juillet 1978. Taxco, Mexique. Hôtel Victoria, chambre 80 », indique-t-il ainsi pour l’image de Françoise nue assise devant une glace, le regard tourné, lumineux. Le désir du corps, sa présence, se confond avec le plaisir de photographier. L’écoulement du temps crée des résonances, miroir d’une vie autant que d’une disparition.

Denis Roche, Photolalies 1964-2010

Jusqu’au 14 février, Pavillon populaire. Espace d’art photographique de la Ville, esplanade Charles-de-Gaulle, 34000 Montpellier, tél. 04 67 66 13 46, www.montpellier.fr, tlj sauf lundi 10h-13h, 14h-18h, entrée libre. Catalogue, éd. Hazan, 144 p., 24,95 €.

Légende photo
Denis Roche, Rue Henri Barbuse, Paris, 20 avril 1979, 50 x 40 cm. © Denis Roche.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°449 du 22 janvier 2016, avec le titre suivant : Denis Roche l’indocile

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