Peinture XIXe

Degas et son double

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 3 octobre 2011 - 753 mots

La Royal Academy of Arts de Londres étudie l’image en mouvement selon Edgar Degas. Dommage que le sujet ait été restreint à la danse uniquement.

LONDRES - Richard Kendall et Jill DeVonyar connaissent Edgar Degas sur le bout des doigts. À force d’étudier son œuvre, les commissaires paraissent même être à court d’inspiration. Leur nouvelle exposition présentée à la Royal Academy of Arts de Londres, « Degas and the ballet : picturing movement » aurait dû être passionnante. Comment l’obsession de Degas pour le mouvement se traduit-elle dans son œuvre ? Par le choix du sujet d’abord : les danseuses, comme les cavaliers, recherchent la maîtrise du mouvement dans toute sa pureté. Ces deux disciplines exigent un travail acharné et un dépassement de soi que Degas le perfectionniste cultivait avec la même grâce. Qu’il soit dansé, galopé ou dessiné, le geste doit sembler n’avoir nécessité aucun effort. Par sa manière de la traiter ensuite : en représentant ballerines ou chevaux à des instants de pleine action, comme pour suspendre le temps.

Mais, à Londres, la thématique hippique a été écartée au profit de la danse stricto sensu. Également évacué, le contexte social, pourtant en lien avec le sujet, car seule une certaine classe s’abaissait au labeur physique. Restent donc la ballerine et le mouvement. En déclinant le parallèle entre l’œuvre de Degas et la photographie dans toutes ses dimensions, les commissaires ont opté pour une « variation libre sur le même thème », quitte à livrer un parcours sous forme d’arborescence aux racines peu profondes. Cette approche pourra intéresser les spécialistes, mais les visiteurs attirés par l’affiche auraient mérité un propos mieux construit. À titre d’exemple, La Petite danseuse de quatorze ans a droit à une salle entière, reproduisant les vingt-six études exécutées à partir d’une vingtaine de points de vue qui ont aidé à la réalisation de la sculpture. Ici, l’artiste est l’auteur dudit mouvement, car il tourne autour de son modèle. Un procédé mis en lien avec la photogravure de François Willème, dans laquelle une statue est réalisée d’après les vingt-quatre clichés pris du modèle sous autant d’angles. Soit. Vient ensuite une collection de photographies panoramiques de Paris, qui auraient inspiré le peintre dans le cadrage horizontal si particulier. Cette fois, c’est l’œil qui bouge (qui danse !) sur la toile pour l’appréhender dans son intégralité.

Répétition incessante
Quid de la véritable représentation du mouvement ? Si les dessins de Degas effectués à partir des photographies de l’Américain Eadweard Muybridge et sa connaissance des travaux de décomposition du mouvement du Français Étienne-Jules Marey sont abordés, ces passerelles entre l’art et la science restent un domaine à approfondir et mériteraient une exposition à elles seules. Ce sont les dessins pris sur le vif dans les années 1880 qui font mouche. Ces feuilles, annotées de détails sur les positions, sont révélatrices de la répétition incessante du geste – celui de la danseuse, comme celui de Degas. Tous deux s’efforcent d’atteindre la perfection. Et c’est là le cœur du sujet : le crayon bouge au même rythme que la ballerine. Mieux développée dans le catalogue que dans l’exposition, l’analyse de ces dessins d’après nature évoque un Degas confronté à ses propres limites, aussi bon dessinateur fut-il. À force de répétition, son trait académique, si précis, finit par se libérer. Il trace et retrace le contour d’une jambe en plein battement, ou celui d’un bras s’élançant dans une pirouette. Mais lorsqu’il s’appuie sur ses statuettes pour reproduire au mieux une position selon différents angles, l’approche est totalement inverse, chose qui n’est pas soulignée dans le parcours.

Lorsque Degas achète son premier appareil photo en 1895, il est intéressé par la faculté de l’appareil à capter une attitude qu’il reproduira ensuite dans un tableau. Fini le temps du fil qui soutient le bras d’une danseuse tenant la pause avec bravoure, la photographie a fait les progrès techniques adéquats. L’avantage de la peinture sur le huitième art est alors la couleur. Coloris qui explosent dans la dernière salle, recelant parmi les plus beaux pastels du peintre – le parcours manque cruellement de chefs-d’œuvre, effet combiné de la crise et de l’exposition « Degas’s Dancers at the barre : Point and Counterpoint » qui vient d’ouvrir ses portes à la Phillips Collection à Washington. Les danseuses s’étirent, reprennent leur souffle, reposent leurs muscles. Elles sont fatiguées. Degas l’est aussi.

DEGAS AND THE BALLET

Commissariat : Richard Kendall, The Clark Art Institute (Williamstown, Massachusetts) ; Jill DeVonyar, commissaire indépendant ; Ann Dumas, Royal Academy of Arts (Londres)
Nombre d’œuvres : 125

DEGAS AND THE BALLET. PICTURING MOVEMENT

Jusqu’au 11 décembre, Royal Academy of Arts, Burlington House, Piccadilly, Londres, tél. 44 207 300 8000, www.royalacademy.org.uk, tlj 10h-18h, les vendredi et samedi jusqu’à 22h, le samedi à partir du 22 octobre 9h-22h.
Catalogue (version française), éd. SkiraFlammarion, 280 p., 45 €, ISBN 978-2-0812-6667-4

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°354 du 7 octobre 2011, avec le titre suivant : Degas et son double

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