De l’espace à l’image

Jean Nouvel par lui-même au Centre Pompidou

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 21 décembre 2001 - 838 mots

Jean Nouvel s’expose au Centre Pompidou, soit vingt ans d’architectures, de polémiques, de réussites éclatantes, d’occasions manquées, de déclarations fracassantes, d’inventions permanentes. L’exposition est la démonstration que l’architecte le plus médiatique de France maîtrise avec brio le passage dialectique de l’espace à l’image.

PARIS - Lorsque l’on se rend à Collonges-au-Mont-d’Or pour déjeuner ou dîner chez Paul Bocuse, dès l’entrée, on se heurte à l’image monumentale du cuisinier, en pieds et en couleurs. L’avertissement est clair, vous entrez dans l’antre d’un maître. À l’entrée de l’exposition “Jean Nouvel” au Centre Pompidou, on se heurte au portrait monumental de l’architecte en buste et en noir et blanc. Là encore l’avertissement est clair, vous allez pénétrer dans l’atelier d’un maître. Dans les deux cas, l’avertissement est superfétatoire. Il suffit de s’immerger dans les merveilles de l’un et les splendeurs de l’autre pour savoir, immédiatement, que l’on a affaire à des maîtres. Ceci pour l’anecdote. Car ce dont il s’agit, ici, c’est de donner à voir l’architecture et non pas l’architecte.

Il y a une quinzaine d’années, Nouvel déclarait : “Se donner à voir et se faire oublier, voilà la grande difficulté de l’architecture.” Donner à voir l’architecture est un jeu plus complexe encore. Quelle option choisir ? Celle des maquettes, celle des plans, celle des textes, celle du mélange des genres... ? Nouvel, lui, opte pour l’image, photographique, filmique, informatique. Il y a longtemps, l’architecte affirmait : “Il faut appeler à un renouveau, à une libération de l’expression architecturale. Il faut demander du spectaculaire, exiger la signifiance du visuel.”

L’exposition “Jean Nouvel” au Centre Pompidou est une spectaculaire et signifiante balade à travers des milliers d’images. Ici, des promenades photographiques à travers les bâtiments ; là, des traversées filmiques de réalisations et de projets ; plus loin, la reconstitution de l’agence avec des ordinateurs devant lesquels il suffit de s’asseoir pour explorer une pensée qui se déploie dans le temps et dans l’espace, pour lire les textes fondateurs, constater les essais, les repentirs, les erreurs, les retours en arrière, les découvertes, les inventions ; plus loin encore, une salle d’immersion, considérable et dans laquelle, cerné d’écrans et de projections, les architectures de Jean Nouvel, à l’échelle 1, se donnent à voir dans leur réalité : “La finalité de l’architecture étant la chose construite, c’est cela qu’il faut d’abord exposer”, confie l’architecte.

Séparant les différentes séquences, un long couloir étire deux occasions manquées, deux grands projets urbains avortés, celui du Grand Stade à Saint-Denis et celui de Seine Rive Gauche à Paris, dans le XIIIe arrondissement. Au-delà de l’amertume, bien légitime au vu de ce qui s’est édifié à Saint-Denis et de ce qui se construit dans le XIIIe, on retrouve ici le Jean Nouvel polémiste, engagé, militant, combattant. L’institution, la gloire et la renommée n’ont en rien affaibli le guerrier, ni affadi sa pensée.

C’est la troisième grande exposition d’architecture qu’accueille le Centre Pompidou après celles consacrées à Christian de Portzamparc et Renzo Piano. Le premier avait inventé un espace dans l’espace et montré beaucoup de maquettes, de dessins, de croquis de peintures. Le second avait, en quelque sorte, reconstitué son agence avec de grandes tables et de très nombreux et immenses cahiers à feuilleter. Une démarche sensible chez l’un, intellectuelle chez l’autre. Rien de tel ici. Plutôt une démarche “contextuelle”, bien dans la manière de Nouvel, inscrite dans la continuité de l’état du monde, celui de l’image qui, aujourd’hui, domine tout.

Retour en arrière une fois encore. “Quand on parle scénographie, les gens pensent décor. Il ne s’agit pas de cela, mais de l’étude du comportement des gens dans l’espace, en un lieu et une situation donnés. C’est là le jeu sur le réel et le virtuel. Il y a des choses liées à une matérialité, à une convention, et d’autres à l’attitude, à l’intemporel, au poétique”, disait-il. Avec cette exposition, Nouvel a joué le jeu du réel, celui de la réalité du Centre Pompidou et de ses publics. Il a choisi de donner à voir l’architecture et d’en faire oublier la mécanique. En cela, cette exposition est une réussite, même si, de-ci de-là, il est parfois difficile de démêler le tien du mien, de savoir s’il s’agit d’un bâtiment existant, d’un projet en cours de réalisation, d’un projet qui ne verra jamais le jour, ou encore d’un plan sur la comète. L’image, certes, est révélatrice. Elle est aussi, parfois, trompeuse.

“Ce devrait être l’ambition de tout architecte que de devenir un grand artiste. Ambition cachée, mais ambition réelle”, avouait, un jour Jean Nouvel. Sur 1 100 m2, au cinquième étage du Centre Pompidou, à l’aide d’une foisonnante et mouvante myriade d’images, Nouvel dévoile, exprime, témoigne que cette ambition ne l’a jamais quitté. Mieux, cette exposition magique et convaincante démontre qu’il a su, mieux que personne, l’accomplir.

- JEAN NOUVEL, jusqu’au 4 mars 2002, Centre Pompidou, galeries 2 et 3, niveau 6, Paris, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf mardi 11h-21h ; catalogue, mis en pages par c-album, regroupant photos et essais, 37 euros, ISBN : 2-84426-108-6.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°139 du 21 décembre 2001, avec le titre suivant : De l’espace à l’image

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