Dessin

De l’émotion à l’e.motion

Le Palais des beaux-arts de Lille se penche sur la ligne, telle qu’elle apparaît dans les travaux d’artistes d’hier et d’aujourd’hui

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2010 - 666 mots

LILLE - La ligne, celle que l’on apprend à dompter sur les bancs des écoles d’art, est au cœur d’« e.motion graphique », une exploration proposée par le Palais des beaux-arts de Lille.

Au XVIe siècle comme en 2010, cette ligne est la même et les méthodes d’apprentissage n’ont pas changé : anatomie, copie de l’antique, drapé, paysage, architecture… Si la feuille de dessin a transcendé au fil des siècles son statut d’esquisse préparatoire, la ligne a pour sa part intégré en beauté les supports les plus contemporains pour devenir intemporelle. Cordelia Hattori, responsable du cabinet des dessins du musée, a fouillé dans ses collections pour sélectionner un ensemble représentatif de ce classicisme des formes. Tandis que Régis Cotentin, spécialiste du contemporain, a tenté d’identifier dans la vidéo contemporaine les artistes usant de ce bagage académique, ceci en évitant soigneusement les évidences que sont devenus Bill Viola, Gary Hill ou Nam June Paik. La sélection fait donc volontairement appel à des auteurs qui ont signé des vidéoclips, art considéré comme mineur – d’où sont pourtant issus de talentueux cinéastes comme Michel Gondry ou Spike Jonze – et sans doute plus accessible pour le grand public que vise l’exposition.

Dans ce parcours resserré et parfaitement maîtrisé, les vidéos choisies n’en sont pas moins pointues, et créent une tension bienvenue avec les dessins, gardiens d’un savoir-faire séculaire. Particulièrement réussie, la première salle se concentre sur les études de détails anatomiques, où les pieds, mains et visages exécutés par Prud’hon, Baudry ou encore Fantin-Latour flottent avec la même légèreté que ceux d’Audrey Marnay dans How Does It Make You Feel (2002). L’actrice se prête en effet au jeu de l’androïde dépecé dans le film d’Antoine Bardou-Jacquet – signalons dans cette même salle la présence de l’écorché animé de Chrysalide (2005), réalisé par les jeunes Yann Bertrand et Damien Serban.

Avec les siècles, les artistes posent un regard très différent sur leur environnement : tandis qu’Hubert Robert ne voit que poésie dans les ruines romaines, H5, le trio formé par François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain, maltraite avec allégresse la société de consommation dans l’incisif Logorama, courtmétrage primé à la Semaine de la critique lors du dernier Festival de Cannes. Mais entre les beaux visages signés Raphaël et celui de Thom Yorke reconstitué numériquement par James Frost, revient un leitmotiv : la ligne graphique numérique n’est pas encore parvenue à reproduire l’émotion et encore moins la chaleur humaine. Une sensualité que Kate Moss, l’héroïne provocante de Sofia Coppola pour le clip des White Stripes, n’a aucune peine à démontrer.

Le cadeau Laporte-Pellegrin

Dans un registre plus sage, le palais lillois vient de s’enrichir d’une cinquantaine de pièces grâce à la générosité des collectionneurs Yannick Pellegrin et Philippe Laporte. Pendant trois mois, le musée consacre une salle à cette donation du duo adepte de la sculpture des XIXe et XXe siècles, et en particulier de l’école lilloise. Orchestré par Annie Scottez-De Wambrechies, conservatrice au musée, et Élisabeth De Jonckheere, assistante qualifiée du patrimoine, l’ensemble témoigne de l’insatiable motivation des collectionneurs à trouver des pièces rares dans les salles de ventes et chez les antiquaires de la France entière, mais également en Allemagne et en Belgique. Parmi les œuvres notables, citons Le Génie de la patrie (1958), d’Emile Arthur Morlaix, qui témoigne de l’appétit de commémoration de l’époque, et Les Oiseaux (1937) de Lucien Brasseur, réplique en plâtre de la sculpture en bronze doré figurant sur le parvis du Trocadéro, à Paris. Le musée accueille cette passion à bras ouvert, car les recherches des amateurs en bibliothèque et aux archives sont venues étoffer les connaissances sur l’école lilloise, encore peu documentée. Si ce cadeau est pour les collectionneurs une occasion de partager leur passion, se séparer du buste de Gaston Riou par Paul Landowski leur fut cependant difficile, une pièce d’autant plus précieuse qu’il s’agit pour l’institution de la première de l’auteur à intégrer les collections. Cette sculpture remarquable restera visible une fois l’exposition terminée, dans le cadre de l’accrochage permanent du musée.

E.MOTION GRAPHIQUE
Commissaires : Cordélia Hattori, responsable du cabinet des dessins au Palais des beaux-arts de Lille ; Régis Cotentin, chargé de la programmation culturelle contemporaine
Œuvres : 170 dessins et une dizaine de vidéos
Mécénat : A.F.V.A.C.

E.MOTION GRAPHIQUE. DU DESSIN ANCIEN À L’ANIMATION CONTEMPORAINE, jusqu’au 22 février, Palais des beaux-arts, place de la République, 59000 Lille, tél. 03 20 06 78 00, www.pba-lille.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, 14h-18h le lundi.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°316 du 8 janvier 2010, avec le titre suivant : De l’émotion à l’e.motion

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