Dans la lumière de Rodin

Le Musée du Luxembourg reconstitue l’exposition de l’Alma

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2001 - 744 mots

En 1900, place de l’Alma, à Paris, en marge de l’Exposition universelle, un pavillon accueillait l’ensemble de l’œuvre d’Auguste Rodin : des sculptures – essentiellement des plâtres, quelques bronzes et marbres –, mais aussi des dessins et photographies. Un siècle plus tard, le Musée du Luxembourg restitue l’événement, à travers une mise en scène soignée et une atmosphère lumineuse, conformément aux exigences passées de l’artiste.

PARIS - “Je n’ai eu qu’un but en sollicitant cette concession [celle du pont de l’Alma] : exposer l’œuvre que, toute ma vie, j’ai poursuivie, et non en tirer parti [...]. Ce sera un lieu d’étude et non une exploitation”, expliquait Rodin à la presse en avril 1900, peu avant l’ouverture de sa première exposition personnelle à Paris. Bien qu’il eût supervisé l’événement dans ses moindres détails, il n’y avait aucun parcours chronologique, aucun accrochage particulier. Ses seules exigences concernaient l’éclairage et l’espace autour des statues. “Une sculpture doit avoir autour d’elle une atmosphère, une certaine zone de liberté permettant au visiteur de l’examiner sous ses divers aspects”, expliquait-il. À l’origine, la salle était largement éclairée par de nombreuses fenêtres, dans une atmosphère très douce aujourd’hui imitée par de grands pans de toile blanche diffusant la lumière. L’artiste souhaitait en effet “rendre l’intérieur agréable tout en utilisant dans la plus large mesure la lumière qui viendra à flots de tous côtés [...] La sculpture est un art de plein air et [il est indigne] d’un artiste de produire une œuvre qui ne puisse valoir sous un angle de lumière déterminé.”

En entrant, le visiteur découvre  dans la rotonde un grand modèle en bronze (remplaçant le plâtre de 1900) d’un bourgeois de Calais, Pierre de Wissant (1886), nu, sans tête ni main, puis dans l’axe, à l’extrémité de la nef centrale, l’impressionnant Balzac (1898). Tandis que les grandes figures sont placées de façon traditionnelle sur des bases cubiques, les œuvres de petites et moyennes dimensions sont fixées sur des gaines ou des colonnes en plâtre utilisées très librement. Parmi ces supports, qui constituaient une des particularités du pavillon, Rodin affectionnait particulièrement un pilier quadrangulaire qu’il s’était procuré auprès de l’atelier de moulage du Louvre, employé par exemple pour soutenir La Terre et la Mer (vers 1900) ou Ugolin (vers 1881). Une colonne ornée de cœurs et un haut support lisse cylindrique étaient aussi fréquemment utilisés, comme l’attestent La Danaïde (1889) et Deux Bacchantes s’enlaçant (avant 1896). “Le but que je poursuis, disait-il, est donc de redresser et d’exalter le sens de l’art dans le public plus apte que l’on ne s’imagine à l’assimilation d’une esthétique simple et forte. On trouvera sans doute ma prétention singulièrement orgueilleuse mais j’ai la conviction qu’en montrant ma ‘sculpture’ et comment j’entends la sculpture, je rendrais à la cause de l’art quelque service.” Rodin avait pris le parti de montrer son travail le plus récent, en plâtre pour la majorité des œuvres, notamment La Porte de l’Enfer, dans sa version inachevée.

Des femmes nues dans diverses positions
Les armatures étant aujourd’hui extrêmement fragiles et le plâtre très fissuré, le musée l’a remplacé par une reconstitution de ce qu’elle fut, obtenue à partir de trois éléments anciens : les vantaux et le tympan, complétés par des épreuves modernes des Ombres, et des bas-reliefs des pilastres. Même si La Porte de l’Enfer était privée de ses figures, la plupart d’entre elles, comme La Cariatide tombée, portant sa pierre (1881-1882), Le Ruisseau enjambé (vers 1885) ou Fugit Amor (1895), étaient présentées de façon indépendante. À travers cette manifestation, Rodin souhaitait aussi associer sculptures, dessins, et photographies, grande nouveauté pour l’époque. Exposées bord à bord, la plupart des prises de vue d’Eugène Druet ont le plus souvent été réalisées en intérieur, la fenêtre de l’atelier étant la principale source lumineuse. Elles s’accordent donc parfaitement avec l’ambiance du lieu, qui abrite également les dessins du sculpteur, de nombreuses femmes nues déclinées dans diverses positions, à la mine de plomb et aquarelle sur papier crème.

Clara Quin, critique d’art de l’époque, rapporte le sentiment de Rodin qui “considère ses dessins comme une synthèse du travail de sa vie. Ils lui plaisent comme des impressions très rapides, très directes qui selon lui sont très complètes, donnant la forme, le modelé, le mouvement, le sentiment.”

- RODIN EN 1900 – L’EXPOSITION DE L’ALMA, jusqu’au 15 juillet, Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 42 34 25 94, ouvert tlj 11h-19h et jeudi jusqu’à 22h. Catalogue RMN, 464 p., 320 F.

“Rodin et l’Italie�?

Toute sa vie, Auguste Rodin a puisé dans les grands modèles de ses prédécesseurs italiens. L’Académie de France à Rome étudie l’œuvre du sculpteur à la lumière des sources de son inspiration, de l’Antiquité au XVIIe siècle (du 5 avril au 9 juillet, villa Médicis à Rome, tél. 39 06 67 61 255), s’appuyant sur des œuvres comme La Porte de l’Enfer, illustration de La Divine Comédie de Dante, ou L’Âge d’airain, qui témoigne de son admiration profonde pour Michel-Ange. La manifestation sera aussi l’occasion d’assister en direct à la restauration du monument aux Bourgeois de Calais, menée par Antoine Amarger, qui a déjà travaillé sur l’ensemble des bronzes du Musée Rodin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°124 du 30 mars 2001, avec le titre suivant : Dans la lumière de Rodin

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque