Cruel et tendre à la fois

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 juillet 2003 - 404 mots

Première exposition de photographie programmée par la Tate Modern depuis son ouverture, « Cruel and Tender » a pris le parti d’ausculter le réalisme photographique du xxe siècle en articulant son analyse autour de l’œuvre d’August Sander, People of the 20th century. À partir de cette série mythique – portrait impartial de la société allemande réduite à une petite zone géographique, la ville de Cologne –, l’exposition organise une relecture pointue de la photographie contemporaine et surtout plus intéressante qu’un parcours chronologique.
De descriptions d’hommes et d’archétypes faites sans concessions par Sander, réalisées au cours de plusieurs décennies, sont issus des portraits de jeunes fermiers de 1914, un portrait de 1924, Crétin, et le Combattant appelé aussi Le Révolutionnaire de 1912. Autour de ces images devenues des icônes et surtout des échos photographiques à la Nouvelle Objectivité picturale, l’exposition cherche à montrer combien l’observation du monde de Sander a influencé durablement des photographes comme Walker Evans, Bernd et Hilla Becher, Diane Arbus mais aussi plus récemment Rineke Dijkstra ou Martin Parr. En retenant seulement une vingtaine de grands noms de la photographie anglo-saxonne et allemande, le parti pris est donc radical. Robert Adams, Andreas Gursky, Thomas Ruff, Thomas Struth, William Eggleston, Robert Frank, Boris Mikhailov, Philip-Lorca di Corcia, Paul Graham, Stephen Shore et Albert-Renger-Patzsch, toutes générations confondues, la préoccupation est la même. Observer et décrire le monde froidement, afin d’en donner une analyse la plus rigoureuse et incisive possible, jusqu’à en devenir la plus artistique qui soit. Reste la question de ce fameux « style documentaire », formule que l’on doit à Walker Evans justement, magnifiquement analysée par Olivier Lugon dans un ouvrage éponyme publié en français en 2001 aux éditions Macula. Ce livre, en décortiquant l’objectivité de Sander et d’Evans dans les contextes respectifs de l’Allemagne de Weimar et l’Amérique de la dépression, revient sur la « neutralité » qui caractérise de
telles études photographiques, sur l’effacement de leur auteur jusqu’à une absence simulée. L’exposition de la Tate semble finalement une projection grandeur nature des thèses d’Olivier Lugon, une bonne occasion de mettre en pratique ses démonstrations et analyses de Sander à Evans, de Becher à Gursky ! Le mimétisme s’avère cependant troublant lorsque l’on constate l’absence de cet historien de l’art au « générique » des commissaires.

« Cruel and Tender, The real in the Twentieth-Century Photograph », LONDRES (G.-B.), Tate Modern, Bankside, tél. 020 78 87 80 00, jusqu’au 7 septembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Cruel et tendre à la fois

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