Art contemporain

ART CONTEMPORAIN

Cosey Fanni Tutti transcende les genres

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 20 juin 2018 - 701 mots

À travers l’œuvre féministe et subversive de l’artiste britannique, le Plateau-Frac Île-de-France interroge le système de l’art, de la pornographie et de l’industrie musicale.

Paris. L’exposition « A Study in Scarlet » au Plateau-Fonds régional d’art contemporain d’Île-de-France (Frac) conçue par le commissaire Gallien Déjean a été construite autour d’une figure iconique des scènes artistique et musicale britanniques de la fin des années 1970. Connue sous le pseudonyme Cosey Fanni Tutti (née en 1951 à Kingston-upon-Hull en Angleterre), la jeune femme a commencé sa carrière d’artiste performeuse avec le collectif Coum Transmissions qui se transformera en 1976 en groupe de rock expérimental sous le nom de The Throbbing Gristle. Parallèlement à sa carrière d’artiste, Cosey a travaillé pour l’industrie pornographique bousculant de fait le radicalisme de la posture de l’artiste d’avant-garde. Par ailleurs, en rejouant tous les poncifs de la féminité objectivée dans le regard masculin, celle-ci s’est consciemment réapproprié son corps dans une perspective émancipatrice des carcans du milieu petit-bourgeois britannique dont elle était issue.

L’exposition met en perspective la démarche d’une artiste qui a infiltré les systèmes de la production culturelle hétéro-normative avec celles d’artistes lui ayant succédé. À la binarité regardeur/modèle, masculin/féminin, actif/passif de la pornographie répond le Body Double X (2000) de Brice Dellsperger. Celui-ci fait réinterpréter l’intégralité du film d’Andrzej Zulawski L’important c’est d’aimer et l’ensemble des rôles à Jean-Luc Verna. Attentat à l’autorité dans cette interprétation queer du mélodrame, où un unique acteur, ni homme ni femme, vient saper de sa présence démultipliée les fondements du récit hétéro-centré. La transformation du point de fuite autoritaire en kaléidoscope « dégenré » se poursuit dans le jeu de reflets entre l’acteur manipulé qui pour ainsi dire retourne la caméra et le spectateur qui vient buter dans l’image. Dans l’entretien que Vaginal Davis fait de Christophe de Rohan Chabot, celui-ci renverse le dispositif par ses prises de parole (De Rohan Chabot series, 2008). Un jeu d’inversions qui se dilue dans les plaques de verre que ce dernier pose contre le mur enserrant une perruque. Le modèle est évacué, il ne reste plus que l’accessoire « drag » et l’image du spectateur qui apparaît dans le verre (Sans titre, Wig, rouge, 2018). L’exposition est par ailleurs jalonnée d’autoportraits masqués d’Hendrik Hegray qui s’inspirent de pratiques de jeunes gens portant des masques féminins dans des vidéos postées sur Internet. Le concert filmé de Pauline Boudry et Renate Lorenz souligne ce processus de « désidentification » des sujets chez lesquels toutes les catégories identitaires sont devenues inopérantes.

Transgression des identités normatives

Ce qui ressort de ces œuvres, ce sont des stratégies qui sapent les fondements des identités normatives : mélange des caractères, pratiques sadomasochistes, disparition et usage du masque pour se cacher aussi bien que se réinventer. Mais le film An image, réalisé en 1983 par le cinéaste plasticien allemand Harun Farocki, nous rappelle combien la division genrée du travail entre modèle féminin passif et regard autoritaire du réalisateur structure la production d’une image destinée à la consommation libidinale du sujet masculin. Du making of d’une séance de photographies pornographiques ressort le caractère objectivé à l’extrême du corps féminin dans ce prisme qui modèle des canons exclusifs. On peut se demander si l’émancipation par infiltration d’un dispositif de production de subjectivité aliénée est possible dès lors qu’on ne correspond pas au modèle valorisé par le système de production des images. Même en considérant que Cosey utilise son corps de jeune femme blanche comme masque, il est vrai que celui-ci répond au préalable voulant que si elle avait été noire, forte ou invalide, elle n’aurait pas pu se prêter à ce jeu émancipateur. C’est par ce principe même qu’Amalia Ulman a pu poster en 2016 ses poses aguicheuses sur Instagram, dont on retrouve les photographies léchées dans le parcours. Sa démarche a beau rappeler celle de Cosey en version 2.0, elle tranche avec les autres œuvres de l’exposition. Mis en regard des « Magazine Actions » de Cosey, les artistes présents dans « A Study in Scarlet » tendent plus à souligner la distance générationnelle, temporelle et conceptuelle qui sépare les stratégies d’infiltration des structures dominantes de la première des processus d’exfiltration des catégories produites pour dominer des derniers.

A Study in Scarlet,
jusqu’au 22 juillet, Le Plateau, 22 rue des Alouettes, 75019 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°504 du 22 juin 2018, avec le titre suivant : Cosey Fanni Tutti transcende les genres

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