Construire dans l’éther

C&M Berdaguer/Péjus radicalisent l’architecture

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 522 mots

Sous le titre glamour et urbain de « Zone-désir », le duo d’artistes C&M Berdaguer/Péjus regroupe à Marseille un ensemble d’œuvres nouvelles, au croisement entre art et architecture. Ni éléments de fiction ni projets, les travaux réalisés par les deux créateurs poursuivent à l’ère de la synthèse chimique une analyse critique de l’architecture radicale des années 1960.

MARSEILLE - Que sont devenus les habitants des cités radieuses promises par Archigram, Archizoom et Superstudio, fers de lance de l’architecture radicale des années 1960 ? Prisonniers volontaires d’utopies restées sur la planche à dessin, ils ont vieilli comme tout le monde. À en croire les After (2001), photographies de Christophe Berdaguer et Marie Péjus (C&M Berdaguer/Péjus) qui actualisent ces projets par le biais du collage, les seniors sont désormais maîtres à bord des Monuments continus et autres Plugging cities. Affectueux mais cruellement réaliste, l’hommage rendu par les artistes donne la mesure de leur attitude face aux rêves d’urbanismes généreux et technologiques des baby-boomers. Ces prophéties appliquées sont retournées et reformulées dans chacune des interventions de C&M Berdaguer/Péjus. Comment faire de la science-fiction maintenant que nous sommes en 2001 ?

L’hormone comme avenir de l’homme
À l’image du Black Bloc (2001), un rocher noir dont la surface “exsude un liquide dont les composants (vitamine A, amphétamine, lactate de soude) ont une action anxiogène sur l’organisme”, l’ensemble des travaux du couple oscille entre des éléments échappés d’une fiction, et des projets d’une logique moderne, implacable, efficace mais aussi terriblement glamour. Bientôt, nous ne pourrons plus nous passer de leur Circuit de sommeil (2001). Ce système de tuyauteries, qui court à la hauteur des sources du plaisir domestique (l’électricité, le téléphone, le câble...), met à disposition un robinet permettant de s’abreuver en somnifère. Avant de traiter de l’espace qui nous entoure, C&M Berdaguer/Péjus proposent de se pencher sur nos mondes intérieurs. Dans la première pièce du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, Locked-chamber-sas/design neuronal (2001) résume ce transfert vers la psyché. Là, englobé dans un épais brouillard et une lumière verte, une bulle habitable flotte sur un tapis de neige en polystyrène alors que des moniteurs aux alentours diffusent des paysages hormonaux, vastes étendues flottantes en images de synthèse. Comme pour le Black Bloc, la réalisation en trois dimensions assure à ces projets un effet placebo troublant. Les doses sont minimes, la technologie encore inaccessible, mais cette nouvelle réalité semble à portée de main.

Associés à l’agence d’architectes suisses Décosterd & Rahm, champions de l’“architecture invisible”, Berdaguer/Péjus ont également dessiné une ville hormonale, où quartier et fonction ne sont circonscrits que par leur chimie. Application concrète et sympathique, l’Arbre à désir (2001) répand dans la cour du Frac de la phéromone, une hormone provoquant l’excitation sexuelle. Le Paysage anesthésique regroupe, lui, sur un lit d’ouate, des molécules, boules Quies et autres substances propres à éteindre les sens et oublier jusqu’à son propre corps. Le programme est synonyme de confort, contrôle et désir. Comme dit l’industrie pharmaceutique : “bienvenue dans un monde meilleur”.

- ZONE-DÉSIR, C&M BERDAGUER/ PÉJUS, jusqu’au 29 décembre , Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, 1 place Francis-Chirat, 13002 Marseille, téléphone : 04 91 91 27 55 cat., édition HYX, 15 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Construire dans l’éther

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