Art non occidental

Comprendre la statuaire du Congo

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 23 février 2022 - 1027 mots

PARIS

Au Musée du quai Branly, les près de 160 statues de l’exposition « La part de l’ombre », datant pour la plupart des années 1875-1950, mettent en lumière les arts traditionnels du sud-ouest du Congo.

Les masques initiatiques

Parce qu’ils étaient montrés lors de cérémonies, « les masques sont de façon générale mieux connus que les statues, qui relèvent davantage de rites privés, cheffaux, parfois même secrets », souligne Julien Volper, conservateur des collections ethnographiques de l’AfricaMuseum (Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, en Belgique) et commissaire de l’exposition « La part de l’ombre », au Musée du quai Branly. La plupart des masques du sud-ouest congolais gravitent autour de l’initiation masculine : le mukanda. Les masques hemba s’inscrivent dans ce rituel propre au sud de l’actuelle République démocratique du Congo, mais aussi à une partie de l’Angola et de la Zambie. Pour passer dans l’âge adulte, les jeunes garçons étaient isolés du village après leur circoncision, dans un camp où ils recevaient certains savoirs liés à la sexualité, à la chasse, au respect des anciens, aux lois et aux coutumes… Le visage du masque incarne un ancêtre bienveillant et protecteur. L’animal qui le surmonte représente le céphalophe, espèce proche de l’antilope, abattu lors d’une chasse qui inaugure le camp du mukanda. Portés par des jeunes circoncis ou des adultes les encadrant lors de la présentation de certains fétiches dans le camp ou lors des festivités de clôture de cette initiation, ces masques hemba étaient ensuite conservés pour servir dans d’autres rites liés à la guérison ou à la chasse.

Un pont d’ivoire avec les esprits

Au terme du mukanda, le jeune initié circoncis pouvait se voir remettre un gikhoko, reproduction miniature d’un masque, à travers lequel il recevait également une part de l’âme/principe vital qui, selon les croyances pende, pouvait effectuer des voyages oniriques pendant la nuit, mais aussi être capturée par certains sorciers, ce qui pouvait aboutir à la mort du corps par dépérissement. Sculpté dans l’ivoire, matériau inaltérable, le gikhoko, qui pouvait être transmis par un ancêtre à ses descendants, matérialisait la transformation des jeunes circoncis en adultes véritables. Le dernier vrai mukanda en camp isolé eut lieu en 1956.

Comme une commedia dell’arte !

Chez les Pende, les masques d’initiation, faits notamment de tissu et de fibres tressées, qui éloignaient rudement femmes et non-initiés du camp, se distinguent de ceux de village, plus accueillants. Portés par des danseurs lors d’occasions comme l’intronisation d’un chef, le début des récoltes ou encore la lutte contre une épidémie, ils manifestent les liens entre les vivants et les morts. Ils peuvent théâtraliser les esprits ancestraux aussi bien que des qualités, des rôles ou des comportements humains (le chef, la coquette, la vieille fille, l’ogre…). Cet étrange visage apparaît comme un mélange de deux masques pende : le tundu, personnage bouffon aux yeux exorbités, adepte de moqueries et de grivoiseries, et le mbangu, « tête de Turc » du tundu précisément, et victime malheureuse des attaques de sorcellerie : en témoigne sa bouche tordue évoquant une attaque nerveuse ou une crise d’épilepsie.

Où sont les femmes ?

« Même s’ils représentent des femmes, les masques étaient toujours portés par des hommes », souligne Julien Volper. Chez les Tshokwe, ces masques peuvent être considérés comme la matérialisation d’ancêtres prestigieux. Un masque pwo incarne un ancêtre féminin. Il apparaît dans le cadre du mukanda, où il devient un émissaire pour les femmes, et en particulier les mères dont les enfants participent à l’initiation. Les traits, la coiffure et les scarifications du masque pouvaient être inspirés par une belle femme du village. Certaines sources racontent même qu’un danseur désirant acquérir un tel masque devait payer une dot symbolique au sculpteur !

À l’effigie d’un grand homme

Les statues, à la différence des masques, relèvent généralement de cultes plus discrets, touchant à la guerre, la chasse, la guérison de maladies ou encore le piégeage d’un sorcier. À ce titre, elles ont été moins étudiées que les masques. Certaines statuettes cependant nous font découvrir non seulement un rite mais aussi le destin singulier de certaines figures du sud-ouest du Congo. C’est le cas de celle-ci, collectée en 1941 par le jésuite Léon de Beir. Elle représente un notable yaka : Khaa Isiimbi. Cet homme de petite taille souffrant de paraplégie, était réputé pour entretenir un lien privilégié avec les ancêtres et certains esprits, au point de devenir le « grand faiseur » de chef chez les Yaka jusqu’à sa mort, qui survint en 1941. Cette statuette à son effigie fut sculptée à la demande d’un homme que Khaa Isiimbi avait soutenu lors d’une succession cheffale litigieuse. Le chef victorieux entendait incorporer celle-ci dans sa famille de figurines mbwoolu, un culte initiatique à statues. Léon de Beir, qui s’est particulièrement intéressé à la religion, à la société et à l’histoire des Yaka, a connu Khaa Isiimbi. Il a non seulement collecté sa statue, mais aussi consigné sa vie.

Fétiche de révolte

Certains objets, à l’image du njinda, ont pu jouer un rôle dans l’histoire, notamment dans la révolte contre la domination coloniale. Objet d’un culte pende organisé dans les années 1920-1930 par une confrérie dotée de leaders régionaux et de sous-chefs locaux, le njinda était placé dans une hutte spéciale, sous la surveillance de gardiens. Pour activer cet objet puissant, animé par l’esprit d’un mort, doué d’une volonté propre, on le faisait osciller en utilisant deux cordes qui pendaient de part et d’autre de la statue. Laquelle, par ces mouvements, pouvait révéler l’identité d’une personne coupable d’un acte de sorcellerie. « C’était une sorte de suggestion collective… C’était excessivement dangereux », écrit le jésuite Jacques Delaere au sujet de cette statuette qu’il collecta en 1932. Plusieurs sources attestent que l’arrivée du njinda dans un village nécessitait la destruction des autres charmes, qui devenaient alors obsolètes. Lorsque les villages congolais, victimes du krach de 1929 qui provoqua une baisse de la demande de caoutchouc et d’huile de palme, se révoltèrent en 1931 contre les compagnies, le culte njinda devint une icône salvatrice pour les populations et revêtit un puissant caractère « anti-Blanc ». En plus de la pièce ci-contre, présentée dans l’exposition « La part de l’ombre » du Musée du quai Branly, seuls quatre exemplaires de njinda sont connus dans le monde.

« La part de l’ombre »,
jusqu’au 10 avril 2022. Musée du quai Branly – Jacques Chirac, 37, quai Jacques-Chirac, Paris-7e. Du mardi au dimanche de 10 h à 19 h, nocturne le jeudi jusqu’à 22 h. Tarifs : 12 et 9 €. Commissaire : Julien Volper. www.quaibranly.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°752 du 1 mars 2022, avec le titre suivant : Comprendre la statuaire du Congo

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