Art ancien

XVIIIE SIÈCLE

Collections du XVIIIe, la Bretagne joue collectif

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2019 - 827 mots

En capitalisant sur la richesse des collections bretonnes, les musées des beaux-arts de Nantes et de Rennes révèlent un XVIIIe siècle entre raison et sentiments.

Nantes/Rennes. La Bretagne s’offre une saison consacrée au XVIIIe siècle en exposant, à la fois à Nantes et à Rennes, les pépites des collections bretonnes de tableaux français du siècle des Lumières. « Éloge de la sensibilité » à Nantes et « Éloge du sentiment » à Rennes pourraient tout aussi bien être sous-titrées « Éloge du collectif » tant le résultat final est le fruit d’un partenariat généreux et fructueux entre les musées de Nantes, Rennes, Quimper et Brest. Une première exposition collaborative, en 2013, avait présenté les peintures italiennes dans les collections bretonnes. « De Véronèse à Casanova », organisée par Rennes et Quimper avec la collaboration du musée de Nantes (lire JdA n° 392) avait connu une itinérance dans les deux premiers musées.

À la barre de cette nouvelle collaboration, Adeline Collange-Perugi, conservatrice chargée des collections d’art ancien au Musée d’arts de Nantes, et Guillaume Kazerouni, responsable des collections anciennes du Musée des beaux-arts de Rennes, se sont donc penchés sur la peinture XVIIIe, « qui, à première vue, ne semble pas avoir compté jusqu’ici parmi les temps forts de nos musées », note Guillaume Kazerouni dans le catalogue. De Rennes, en effet, on connaît le très beau noyau des collections XVIIe ; de Nantes, les salles XVIIe et XIXe ; et de Brest et Quimper, les œuvres de l’École de Pont-Aven et des maîtres bretons.

Au cours de leurs recherches dans les collections, les deux commissaires se retrouvent « submergés par la qualité des œuvres, avec un corpus de 140 tableaux : deux expositions se sont alors imposées », se remémore Adeline Collange-Perugi. Outre les quatre musées déjà mentionnés, des pépites viennent des musées et des monuments de Morlaix et Lamballe. « Quimper a décroché trois salles entières : on a eu un feu vert absolu de générosité », poursuit la conservatrice ayant ainsi réuni un ensemble important capable de retracer la richesse du siècle.

Encore faut-il trouver le bon angle pour compartimenter le parcours. La solution est venue de l’étude des collections de Nantes et de Brest. Si Nantes se distingue par la variété de ses scènes de genre et de ses fêtes galantes, Rennes abrite la grande peinture d’histoire : la hiérarchie des genres divisera donc le corpus entre les deux musées afin de donner une clarté au discours.

Nouvelle vision de l’homme

Pour raconter ce siècle de mutations politiques profondes et de préoccupations sociales inédites, les commissaires se fondent sur L’Encyclopédie de Rousseau et d’Alembert et sa définition de la « sensibilité » : « Sensibilité, se dit aussi, tant des sentimens d’humanité qui font qu’on est touché des misères d’autrui, que des sentimens de tendresse et d’amour. C’est une chose très louable que la sensibilité pour les misères d’autrui. Il est d’une extrême sensibilité aux impressions de l’amour. » Ce que résume Adeline Collange-Perugi : « En s’appuyant sur le sentiment, la peinture d’histoire peut montrer l’homme, tel qu’il devrait être dans sa perfection morale, et le portrait et les scènes de genre le dévoilent tel qu’il est, dans la sensibilité de son intimité et de ses affects. » Le sentiment à Rennes, la sensibilité à Nantes : la partition ainsi faite, les deux commissaires ont conçu leurs parcours en parallèle et de manière indépendante.

À Rennes, Guillaume Kazerouni ose et réveille les grands formats religieux et les scènes mythologiques avec des couleurs tranchées, presque « pop ». Le bleu roi majestueux sied bien à la Sainte Clotilde en prière de Carle Van Loo (1753, Brest, Musée des beaux-arts) [voir illustration], très belle toile illustrant une peinture religieuse en constante évolution dans le siècle. Un rose fuchsia désamorce les fleurs et les angelots de François Boucher dans Vénus à la forge de Vulcain et Neptune et Amymone (1764, Rennes, Musée des beaux-arts), deux cartons de tapisseries récemment déposés par Versailles à Rennes. Au total, 65 œuvres, de Coypel à Fragonard, de Lagrenée à Suvée, dressent une évolution stylistique et philosophique, jusqu’à l’étrange autoportrait de Jean-Baptiste Regnault, L’Homme physique, l’Homme moral et l’Homme intellectuel venu de Brest.

Par sa sensibilité, il fait le lien avec le parcours nantais, aux couleurs poudrées et aux sections plus intimistes. Là, plus de 65 peintures déroulent les tourments de l’âme, les débats sociologiques, les préoccupations pédagogiques. La générosité des musées prêteurs peuple les cimaises : un beau et émouvant Portrait de femme d’Adelaïde Labille-Guiard (vers 1787) [voir illustration] prêté par Quimper et dépeignant une femme longtemps identifiée comme la révolutionnaire Manon Roland, fait écho à un tendre Portrait de Monsieur Olive, trésorier des États de Bretagne avec sa famille (1791, Musée d’arts de Nantes), empreint des théories rousseauistes. Le double langage de Jean Baptiste Greuze et la galanterie de Nicolas Lancret illustrent un siècle complexe, entre frivolité et drames intérieurs. Le catalogue commun contient les notices abrégées des œuvres de Rennes et de Nantes, exhaustives pour les œuvres prêtées par Brest, Quimper, Morlaix et Lamballe. En Bretagne, on joue décidément collectif.

Éloge de la sensibilité,
jusqu’au 12 mai, Musée des beaux-arts de Nantes, 10, rue Georges Clémenceau, 44000 Nantes.
Éloge du sentiment,
jusqu’au 12 mai, Musée des beaux-arts de Rennes, 20, quai Émile Zola, 35000 Rennes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°522 du 26 avril 2019, avec le titre suivant : Collections du XVIIIe, la Bretagne joue collectif

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