Photographie

ART CONTEMPORAIN

Cindy Sherman dans tous ses effets

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 13 février 2020 - 838 mots

L’artiste américaine inspire nombre d’artistes autour des questions d’identité, de stéréotype et de transformation. Le Kunstforum de Vienne organise la confrontation.

Vienne. En un peu moins d’un an Cindy Sherman aura fait l’objet en Europe de deux rétrospectives : l’une en 2019 à la National Portrait Gallery de Londres, l’autre à venir [à partir du 2 avril] à la Fondation Louis Vuitton à Paris. « L’effet Cindy Sherman. Identité et transformation dans l’art contemporain », présentée au Kunstforum de Vienne en Autriche, n’en est pas tout à fait une, bien qu’un bel échantillon de pièces issues de différentes séries donne un aperçu de l’évolution de ses préoccupations, de ses débuts jusqu’à aujourd’hui, avec Untitled Films Stills (1977-1980) et « Untitled », déclinant quelques-uns de ses plus célèbres portraits. Car il ne s’agit pas, pour Bettina Maria Busse, conservatrice du Kunstforum de Vienne, de dresser une généalogie des influences de Cindy Sherman, mais plutôt d’aborder la manière dont les artistes après elles se sont emparées des questions d’identité et de transformation.

De Catherine Opie, Samuel Fosso ou Gillian Wearing à Markus Schinwald, Zanele Muholi et Wu Tsang, Bettina Maria Busse a pris soin de sélectionner des pièces d’artistes des deux sexes, d’origines et de générations différentes mais aussi de divers médiums. Excepté Sophie Calle, de la même génération que Cindy Sherman, née en 1954, la vingtaine d’artistes retenus sont pour la plupart nés dans les années 1960 à 1970, l’artiste américaine d’origine guatémaltèque Martine Guttirriez (née en 1989) étant la plus jeune.

« Avec son travail complexe et multiforme, Cindy Sherman a ouvert la voie à une réévaluation ouverte du thème de l’identité et de la transformation sous différentes formes et dans des contextes variés », souligne Bettina Maria Busse. Et la commissaire de rappeler que les stéréotypes de la femme véhiculés par les médias, la publicité, le cinéma, l’histoire de l’art et aujourd’hui les réseaux sociaux ont engendré de multiples travaux dans la lignée de Cindy Sherman. L’exposition ne manque pas à cet endroit de pièces percutantes, au premier rang desquelles Becoming de Candice Breitz, réalisée en 2003, installation de sept moniteurs vidéo dans laquelle l’artiste sud-africaine se glisse, d’un côté de l’écran, dans la peau de sept actrices américaines (Cameron Diaz, Julia Roberts, Jennifer Lopez, Meg Ryan, Neve Campbell, Reese Witherspoon et Drew Barrymore), et de l’autre les rejoue dans de courtes séquences, ce sans recourir à un décor ni à une perruque, mais uniquement en mimant leurs attitudes et gestes. Une imagerie féminine que la vidéaste suisse Pipilotti Rist se fait fort à son tour de faire voler en éclats dans l’installation vidéo Ever Is Over All (1997), où une jeune femme s’avance d’un pas alerte et le sourire aux lèvres pour briser une à une à l’aide d’une longue tige de fleur les vitres de voitures stationnées dans une rue.

La mascarade

Bien plus crus et directs sont les portraits ou autoportraits de Zanele Muholi dans une revendication à être soi-même malgré les violences infligées à la communauté LGBTI en Afrique du Sud. Réalisé vingt ans plus tôt, le portrait Untitled #112 de Cindy Sherman, explorant la question du genre, apparaît beaucoup plus sage. Bettina Maria Busse relativise : « Les œuvres de Cindy Sherman demandent à être comprises comme des commentaires critiques, sarcastiques sur l’esprit dominant de son époque. Au même titre que les nouveaux développements sur le sujet. Des artistes comme Tejal Shah ou Zanele Muholi défient à leur manière les discriminations, la violence, l’intolérance et les préjugés dont font l’objet dans leur pays des femmes ou des hommes en raison de la couleur de leur peau, de leur orientation sexuelle ou de leur caste. »

Dans cette veine, les jeux de rôle de Samuel Fosso [voir ill.] affirment leur dimension politique à travers les figures de l’histoire africaines ou afro-américaines que l’artiste camerouno-nigérian interprète. À cet égard, l’exposition brasse large dans son exploration des usages de la mascarade et son contenu. Déjantée apparaît ainsi la vidéo de Ryan Trecartin The Re’Search, réalisée en 2010, parodie au vitriol de la présentation des jeunes par eux-mêmes sur les réseaux sociaux, sur le rythme d’une comédie endiablée.

La référence à l’œuvre de Cindy Sherman conduit de manière plus générale la commissaire à créer des dialogues avec des œuvres moins attendues comme les peintures et marionnettes de Markus Schinwald, les figures de cire déformées de Gavin Turk ou la série Self-Portraits of Yo + Me de Douglas Gordon. Ces portraits de stars hollywoodiennes au visage en partie calciné sont montés sur miroir afin que le spectateur puisse venir y combler les parties manquantes.

Dans cet exercice rondement mené, on peut avoir parfois du mal à saisir l’articulation de certaines œuvres avec celles de Cindy Sherman, notamment l’une des vitrines de Birthday Ceremony de Sophie Calle, conservatoire de ses cadeaux d’anniversaire confectionnés de 1980 à 1993, ou trois des pièces de « Whiteon White » de l’artiste chinois Maleonn sur ce qui reste de l’identité d’une personne après sa disparition. Des pièces qui auraient demandé un cartel aussi explicatif que celui qui accompagne certaines œuvres de l’exposition.

The Cindy Sherman Effect. Identity and Transformation in Contemporary Art,
jusqu’au 21 juin, Bank Austria Kunstforum Wien, Freyung 8, Vienne, www.kunstforumwien.at

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°539 du 14 février 2020, avec le titre suivant : Cindy Sherman dans tous ses effets

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