Chauffe Marcel

Les descendants de Duchamp

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 juillet 2006 - 380 mots

Comprendre la création actuelle à la lumière de Duchamp, et faire le point sur cette manie d’accommoder l’artiste à tout propos. Telle est l’ambition de la manifestation organisée en plusieurs lieux.

À jouer au jeu des filiations, la tentation est grande de parler maître et disciples. Et de faire de Marcel Duchamp (1887-1968) un tuteur. La stratégie retenue pour l’exposition fut donc catégorique : pas question de convertir le parcours en une leçon ou en une cérémonie apologique, mais bien davantage en un programme par affinités d’attitudes.

Le sillon Duchamp
C’est par le ready-made que les commentateurs s’entendent le plus souvent pour élucider une œuvre complexe et parfois contradictoire. Par le ready-made, séisme canonisé, génial tour de passe-passe, responsable supposé de la débandade des critères et des normes esthétiques. Duchamp et ses ready-mades ont fourni des pistes dans lesquelles se sont engouffrés aussi bien les artistes Pop que conceptuels, laissant bien peu de programmes artistiques franchement déchargés de son héritage.
Qu’en fut-il finalement ? En 1913, Duchamp pose une roue de bicyclette sur un tabouret de cuisine. Mais il ne les destine pas à l’exposition. Viennent ensuite le porte-bouteilles puis le manche d’une pelle à neige en 1915, exposé à New York mais sans tapage. Ce n’est qu’en 1917, lorsque Duchamp, sous le pseudonyme de R. Mutt, soumet sans succès au Comité d’organisation des indépendants à New York, un urinoir basculé de 90° sur un socle, que l’opération se met en route, irréversible : Fountain. L’objet usuel, se voit promu à la dignité d’objet d’art par la seule décision de l’artiste.
Que dit Duchamp ? Non pas que plus rien n’est art. Au contraire. Son geste est un geste d’extension de territoire. Destituée, l’œuvre s’incarne désormais dans l’idée. Décisive. Un déplacement qui fait du réel un réservoir prodigieux. Duchamp veut en finir avec le beau et l’autonomie de l’œuvre. En finir avec la conception rétinienne de l’art. L’œuvre redistribue finalement l’ensemble des rôles et des statuts : artiste, contexte, objet et regardeur, tous deviennent décisifs dans la détermination du phénomène artistique.
L’exposition rappelle que Duchamp fut un acteur de son temps, attentif aux bouleversements esthétiques en cours. Joueur d’échecs, bibliothécaire, bricoleur, peintre, performeur, penseur d’une farouche indépendance à qui l’exposition confie le soin de hanter la scène contemporaine. En toute légèreté.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°582 du 1 juillet 2006, avec le titre suivant : Chauffe Marcel

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