Art ancien

Chardin, service minimum

Une rétrospective sans enjeu au Grand Palais

Par Jean-François Lasnier · Le Journal des Arts

Le 24 septembre 1999 - 635 mots

PARIS

Vingt ans après, Jean-Siméon Chardin (1699-1779) retrouve les cimaises du Grand Palais pour une nouvelle rétrospective plus ramassée, concentrée sur les chefs-d’œuvre. Hélas, à l’image d’une mise en scène minimaliste, cette exposition semble avoir abdiqué toute ambition didactique.

PARIS - En 1728, visitant l’exposition de la Jeunesse sur la place Dauphine, Nicolas de Largillière découvre avec stupeur et enchantement le Buffet et la Raie, deux toiles d’un nouveau venu que, d’instinct, il attribue à “quelque bon peintre flamand”. Ces œuvres, grâce auxquelles Chardin entrera dans la prestigieuse Académie royale de peinture et de sculpture comme peintre “dans le talent des animaux et des fruits”, ouvrent aujourd’hui la nouvelle rétrospective du Grand Palais. Certainement conçus dans l’espoir de se faire remarquer, ces tableaux écrasent de leur taille les premières productions de l’artiste, plus versé dans le petit format. Des liens inattendus se tissent pourtant entre petits et grands. Ainsi, à côté d’une ample composition à la Desportes, Le Chien barbet (1730), deux toiles plus modestes, Un canard col-vert attaché à la muraille et une bigarade et Lièvre mort avec poire à poudre et gibecière, développent deux motifs restitués à l’identique mais juxtaposés sous les yeux du chien barbet.

“Un “lapin”, dont, selon Cochin, on lui avait fait cadeau (un “lièvre” au dire de Mariette), décida de l’orientation de sa carrière”, nous apprend le catalogue. Comme pour donner raison à ses biographes, les Lièvres morts se succèdent sur les cimaises et forment avec les tables et les ustensiles de cuisine un motif privilégié de ses premières années. Au premier étage, où se poursuit l’exposition, les pelages se font plus ouatés, la lumière plus enveloppante, les natures mortes gagnent en mystère, en intensité. Malheureusement, cette intensité se trouve parfois affadie non seulement par la coexistence d’œuvres de même sujet, mais aussi par un éclairage médiocre. Démentant une périodisation trop stricte, l’accrochage mêle natures mortes et scènes de genre, et s’achève sur les célèbres portraits au pastel réalisés entre 1771 et 1779. Si ces derniers sont certainement les chefs-d’œuvre de sa vieillesse, il aurait été intéressant d’en montrer d’autres, ne serait-ce que pour en souligner l’excellence.

De plus, le familier du Louvre ne sera pas surpris face à tant d’œuvres si souvent admirées. Toutefois, Pierre Rosenberg, le commissaire de l’exposition, a obtenu le prêt de tableaux conservés dans des collections privées, comme Le Panier de fraises des bois, La Fillette au volant ou Les Attributs de la musique civile et son pendant, Les Attributs de la musique militaire. Venant également d’une collection particulière, une version du Garçon cabaretier a été longtemps considérée comme perdue. À côté de cette redécouverte, sont confrontées les trois versions connues de la Pourvoyeuse, ce qui “permet de s’interroger sur la méthode de travail de l’artiste. Exista-t-il un premier exemplaire peint sur nature, d’après le modèle (et lequel) ? Chardin se recopiait-il ? Le faisait-il à la commande ? Toutes questions aujourd’hui non résolues”, note Pierre Rosenberg dans le catalogue. Hélas, de cette problématique, il n’est question nulle part dans les salles, car l’appareil didactique est à l’image de la mise en scène “imaginée” par Richard Peduzzi, avec ses allées éclairées par des ampoules nues : minimaliste. Le visiteur qui n’aurait pas pris la précaution d’acquérir le Petit journal des expositions en serait réduit à absorber l’interminable biographie répartie sur quatre panneaux situés à mi-parcours. Il serait alors condamné – il y a, certes, pire comme châtiment – à s’extasier devant les œuvres, à moins qu’il ne trouve une place dans la salle de consultation, à l’ambiance scolaire. La fluidité de la circulation est ainsi assurée. Était-ce la priorité des organisateurs ?

CHARDIN (1699-1779)

Jusqu’au 22 novembre, Galeries nationales du Grand Palais, square Jean-Perrin, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 47, tlj sauf mardi 10h-20h, mercredi 10h-22h. Entrée sur réservation de 10h à 13h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°89 du 24 septembre 1999, avec le titre suivant : Chardin, service minimum

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