Chairs molles sur bords de mer pour un Ensor acerbe

À Ostende, les flèches d’Ensor

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1996 - 494 mots

Ensor l’ironique revient hanter le littoral de sa ville natale. \"Les Bains d’Ostende\" sont l’occasion de jeter un regard acide sur la bonne société qui, l’été venu, hantait l’estacade de la cité chère à Léopold II. Les choses ont si peu changé qu’un siècle plus tard, le crayon d’Ensor a conservé toute sa fraîcheur.

OSTENDE - Les Bains d’Ostende, que James Ensor croque à la fin des années 1880, constituent un résumé de la bonne société bruxelloise qui se presse sur la plus chic des plages belges, celle-là même que le roi Léopold II entend transformer pour en faire la perle de la mer du Nord. Ensor le solitaire, Ensor le marginal ne regarde pas avec tendresse cette humanité caricaturale qui vient prendre des bains et se divertir sans pudeur ni retenue. Ostende est bondée, et l’on vient autant pour être vu que pour voir.

Le mérite majeur de l’exposition se situe dans une approche iconographique riche, qui replace l’œuvre d’Ensor dans son contexte. "Les Bains" dévoilent leur réalité au hasard des documents d’archives et des photographies d’époque. L’atmosphère est à la détente et au plaisir. Le regard d’Ensor en inverse la vérité. L’artiste saisit le moindre travers, la plus petite marque d’hypocrisie. Ici aussi, Ensor – malgré son tempérament à contre-courant – s’intègre à une tradition caricaturale et satirique. Avant lui, Sem, et surtout Félicien Rops, avaient fait l’expérience de cette hystérie balnéaire qui transpose à Ostende les rites d’une bourgeoisie étriquée honnie d’Ensor, d’Anvers à Gand en passant par Bruxelles. Le regard que Rops – accompagné de Nadar – jetait sur Ostende en 1857 an­nonce celui d’Ensor trente ans plus tard : "Ostende regorge de monde ; depuis les basanés riverains de la Médi­terranée jusqu’aux fils blonds de l’aurore boréale. Italiens, Espagnols, Allemands, Russes et Scandinaves, femmes honnêtes, lorettes et actrices, hommes de lettres et hommes comme il faut, banquiers et voleurs, se jettent à flots dans cette mer du Nord, la plus ennuyeuse des mers, comme Lille est la plus ennuyeuse des cités".

Au-delà d’Ensor, l’exposition permet d’appréhender une contre-culture qui se fonde sur un regard critique étroitement lié à la pratique du Réalisme. Ensor lui-même s’inscrit dans cette filiation. Son œuvre évolue pourtant vers de nouveaux horizons prémonitoires de l’Expres­sionnisme : la critique renonce à l’objectivité, car le peintre se dresse contre cette société qui le juge étrange et le refoule dans la solitude de l’insuccès.

La deuxième partie de l’exposition permet ainsi de rentrer dans l’univers paranoïaco-critique d’Ensor le satiriste. La justice, l’armée, l’académie – qu’elle soit picturale ou musicale –, l’église sont les cibles privilégiées des flèches d’Ensor, qui honnit le matérialisme bourgeois et l’hypocrisie de la vie sociale. Sans doute est-ce pour cette raison qu’Octave Maus refusera d’exposer l’œuvre à un des salons de "La libre Esthétique", le cercle d’avant-garde qui, depuis 1894, prolonge l’action des "XX".

LES BAINS D’OSTENDE. JAMES ENSOR SATIRISTE, jusqu’au 30 août, Venetiaanse Gaanderijen, Zeedijk, Ostende, Tél. (59) 80 55 00, tlj 10h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°27 du 1 juillet 1996, avec le titre suivant : Chairs molles sur bords de mer pour un Ensor acerbe

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