Ces artistes qui fuyaient le nazisme

Le Bauhaus aurait tenté une réconciliation avec Hitler, selon Peter Hahn

Le Journal des Arts

Le 2 mai 1997 - 750 mots

Six ans après la célèbre exposition qu’elle avait consacrée à \"l’Art dégénéré\", Stephanie Barron, conservateur en chef du Los Angeles County Museum of Art (Lacma), se penche sur le sort des artistes qui ont fui le fascisme. \"Exilés et émigrés\" évoque l’histoire de vingt-trois d’entre eux, parmi lesquels Max Beckmann, Walter Gropius, Marc Chagall, Piet Mondrian, Max Ernst, Roberto Matta Echaurren, Laszlo Moholy-Nagy et Yves Tanguy.

Los Angeles. "Exilés et émigrés" se contente d’une allusion rapide au destin des artistes qui ont émigré à travers l’Europe, mais suit de façon plus approfondie la carrière de ceux qui sont allés aux États-Unis, où ils ont contribué au bouleversement de l’art, de l’architecture et de l’histoire de l’art. Stephanie Barron s’est fixée pour objectif "de porter un nouveau regard sur les intentions et les réalisations de ces artistes. Il ne s’agit ni de moraliser, ni d’en faire des héros, ni d’entacher leur réputation." Toutefois, ce n’est pas sans fierté qu’elle souligne la publication dans le catalogue d’une étude de Peter Hahn consacrée au Bauhaus, où l’auteur retrace, preuves à l’appui, les démarches pour une réconciliation avec le régime hitlérien qu’auraient accomplies divers créateurs, dont Gerhard Marcks, Oskar Schlemmer, Herbert Bayer, Wilhelm Wagenfeld, et même Walter Gropius. Ces tentatives de rapprochement ont échoué pour la plupart, mais les documents relatifs à l’ambivalence d’une telle attitude ne laissent pas indifférents. "Exilés et émigrés" est souvent considérée comme la suite de la reconstitution par Stephanie Barron de l’exposition "L’Art dégénéré", organisée en 1937 par les nazis, à Munich. Pourtant, le commissaire affirme qu’elle a eu d’autres intentions : "Comme nombre d’artistes contraints de fuir l’Allemagne et l’Autriche, en 1933, n’étaient pas allemands, ils ont tout de suite été tenus pour des artistes internationaux. Là où l’on pourrait déceler des similitudes entre les deux expositions, c’est dans la manière d’exposer la peinture et la sculpture avec des archives, des films et autres documents – livres, pamphlets ou presse –, une approche que j’avais déjà adoptée lors de ma présentation de l’Avant-garde russe, en 1980."

Une exposition "idéologique"
Une vidéo d’une quinzaine de minutes montre comment l’administration de Washington a réagi à la crise survenue en Allemagne au cours des années trente, et l’adoption de nombreuses mesures afin de limiter l’immigration aux États-Unis. Ces images d’une politique hostile aux flux migratoires trouvent un écho dans le climat d’intolérance qui règne à l’heure actuelle en Californie où, lors du référendum de 1994, une courte majorité s’est dessinée pour refuser aux immigrants clandestins toute aide médicale ou éducative. Dans les milieux artistiques de Los Angeles, la rumeur a circulé que cette leçon de l’histoire aurait eu une influence négative sur le mécénat de l’événement. Stephanie Barron précise qu’il est très difficile, en effet, de trouver des partenaires privés pour de telles expositions "idéolo­giques". Elle a néanmoins bénéficié de l’aide de l’État (Natio­nal Endowment for the Arts and for the Humanities). Le Lacma présente une réplique en miniature de l’étonnante architecture courbe conçue par Frederick Kiesler pour la salle des surréalistes de la galerie "Art of This Century" de Peggy Guggenheim à New York, qui fut, à cette époque, un important espace d’exposition offert aux artistes européens. Le dernier atelier de Piet Mondrian dans la même ville est également reconstitué grandeur nature. Certains visiteurs se sont demandés pourquoi cet atelier avait été reconstitué alors qu’aucune des œuvres de Mondrian n’est exposée ici et que son art a largement subi l’influence de la société américaine. Stéphanie Barron s’explique sur ce point : "Nos demandes de prêt sont parvenues au moment où les toiles de Mondrian partaient pour l’exposition qui vient de lui être consacrée. Les œuvres de la dernière période sont de toute façon devenues trop fragiles pour voyager. Nous nous sommes retrouvés dans la situation suivante : une exposition monographique a pris le pas sur une exposition de groupe". L’une des caractéristiques les plus notables de "Exilés et émigrés" tient à la présentation, confiée à Frank Gehry, de la produc­tion de ces émigrés en Amérique : sous une lumière in­tense, dans une immense galerie, l’espace n’est rompu que par un couloir de chaînes, qui pendent du plafond jusqu’au sol.

EXILÉS ET ÉMIGRÉS : LES ARTISTES EUROPÉENS FUYANT HITLER, jusqu’au 11 mai, Los Angeles County Museum of Art, 5905 Wilshire Blvd, Los Angeles, tél : 1 213 857 6000, tlj 10h-17h, vend. jusqu’à 21h, sam. et dim. 11h-18h. Puis, Musée des beaux-arts, Montréal (19 juin-7 sept.), et Neue Nationalgalerie, Berlin (8 oct.-4 janv. 1998). Catalogue, 450 p., publié par Harry N. Abrams.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°37 du 2 mai 1997, avec le titre suivant : Ces artistes qui fuyaient le nazisme

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