Catherine Millet : « Je demande au dessin d’aller au-delà de ses limites »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 21 mars 2012 - 785 mots

Critique d’art et écrivain, Catherine Millet a créé la revue Art Press qu’elle continue de diriger aujourd’hui. Dans le cadre du Salon Drawing Now, elle présente son «Â musée imaginaire ». Une première pour elle.

L’œil : Quelle définition donnez-vous à la pratique du dessin ?
Catherine Millet : Dans ma définition du dessin, il y a la priorité donnée au trait et à la spontanéité du geste, du moins à une impression de spontanéité. Mais le dessin est difficile à définir ; il est un fil conducteur qui relie des pratiques extrêmement hétérogènes entre elles.

L’œil : Quels artistes avez-vous rangés dans votre « musée imaginaire » ?
C. M. : J’ai choisi d’exposer, au Salon Drawing Now, des artistes qui sont dans la représentation (et presque essentiellement dans la représentation du corps) et dans le geste (que l’on peut d’ailleurs considérer comme une représentation du corps).

Dans la représentation, je montre un Klossowski, mais aussi les dessins de mon ami Bernard Dufour, d’Otto Muehl, de Marc Desgrandchamps… Pour le geste, j’ai retenu des artistes qui sont à la marge de la définition du dessin. J’ai par exemple demandé à Pierre Weiss, qui travaille au feutre sur un support transparent déporté du mur, de me prêter des œuvres. J’ai également demandé des œuvres à Alberto Sorbelli, connu pour ses performances, qui réalise des dessins à deux mains, parfois en aveugle. À Bernar Venet aussi, dont j’ai toujours considéré que les sculptures étaient du dessin dans l’espace.

L’œil : Vous confiez, dans un récent livre d’entretiens, D’Art Press à Catherine M. [2011, Gallimard], préférer « une peinture consciente de ses limites ». Avez-vous la même exigence envers le dessin ?
C. M. : Au contraire, je demande au dessin d’aller au-delà de ses limites et de s’approprier d’autres supports, d’autres pratiques que celles qui lui sont traditionnelles. Lorsque je parle d’une peinture consciente de ses limites, je pense alors à Marc Desgrandchamps. Dans ses dessins que j’ai choisi de montrer, il y a, contrairement à ses peintures, peu de corps représentés, mais des paysages dessinés par une succession de petits tirets qui reproduisent les « dégoulinures » qu’il utilise dans ses toiles. Ces tirets traduisent une même indécision de l’image… 

L’œil : L’engouement pour le dessin est-il lié au marché, à l’accessibilité financière de ce médium ?
C. M. : Il est lié en partie au marché, à des collectionneurs qui se sont tournés vers le dessin car plus accessible, c’est vrai, comme ils l’ont fait à un moment pour le design. Mais il ne faut pas réduire l’intérêt porté au dessin à sa seule dimension économique. N’y a-t-il pas le besoin pour les artistes de garder, grâce au dessin, une pratique qui maintienne la spontanéité, la qualité d’être immédiatement accessible et réalisable ?

Je me mets par exemple à la place d’une artiste comme Tatiana Trouvé dont les installations ont besoin de tout un dispositif. Or, Tatiana est une artiste tous les jours, et pas seulement quand elle a à sa disposition un espace pour s’exprimer. Entre deux créations, le dessin lui permet donc de créer ses espaces oniriques. Le dessin est une façon, pour l’artiste, de poursuivre en permanence sa réflexion.

L’œil : Les artistes aujourd’hui sont-ils plus décomplexés qu’hier ?

C. M. : Je le pense. J’ai fréquenté des peintres qui refusaient l’idée de faire du dessin ; c’était leur façon à eux d’être modernes. La conception dominante était le dessin préparatoire et, dans leur idée de la « peinture », la préparation n’avait pas de sens. Une relation directe devait s’instaurer entre l’artiste et la toile. Je pense par exemple à Martin Barré. Mais ce refus est lié à une génération d’artistes. C’est désormais de l’histoire ancienne.

L’œil : Qui sont les bons dessinateurs, les dessinateurs accomplis ? Vous avez cité Klossowski…
C. M. : Klossowski est un contre-exemple. C’est un très bon artiste, mais sa pratique du dessin n’est pas ce qui est intéressant chez lui. Il ne possédait d’ailleurs pas une très bonne technique, et une partie de la séduction de ses dessins vient de cette maladresse.

Parmi les artistes que j’ai choisi de présenter, Otto Muehl est un très bon dessinateur, au sens traditionnel. Mais Warhol était également un extraordinaire dessinateur. Ses dessins au trait sont absolument magnifiques. Il faudrait un jour monter une belle exposition des dessins de Warhol.

L’œil : Aimeriez-vous monter une grande exposition sur le dessin ?
C. M. : Je me dis en effet qu’il y a  quelque chose à faire. Mais je ne suis pas sûre de le faire moi-même, j’ai d’autres projets. Si le Salon Drawing Now prend de l’ampleur, il serait en revanche intéressant qu’il s’accompagne d’une belle exposition qui montrerait la diversité de cette pratique, du croquis au grand dessin mural, avec des aspects historique et esthétique. Une telle exposition serait intéressante.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Catherine Millet : « Je demande au dessin d’aller au-delà de ses limites »

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