À Cassel, une documenta sans plasticité

Jugée antisémite, elle ne sera restée que quelques jours sur la Friedrichsplatz, la place centrale de Cassel qui accueille tous les cinq ans pendant cent jours cette manifestation incontournable de l’art contemporain. La polémique a pris une telle ampleur qu’elle a provoqué le retrait des œuvres de l’artiste allemande Hito Steyerl, qui a qualifié la manifestation de « désastre » puis, quelques semaines plus tard, la démission de la directrice, Sabine Schormann. Du fait de cette controverse houleuse, mais également de son orientation audacieuse, la 15e édition de la Documenta fera date. Pour la première fois, la direction artistique a été confiée à un collectif : Ruangrupa, un groupe pluridisciplinaire indonésien aux contours flous. À rebours du sensationnel et du monumental, de la starification de l’artiste et du commissaire, le projet était tout entier fondé sur l’esprit de communauté et le partage des ressources, avec pour ambition de « construire des relations sociales et questionner les dynamiques de pouvoir ». En résulte une constellation de projets à la lisière de l’art : des travaux de recherches et d’archives, des pratiques éducatives et initiatives sociales, des processus de création communautaires… À grand renfort de croquis, textes manifestes, vidéos documentaires ou ensemble d’archives, les voix se mêlent et leur force se perd dans un ensemble indigeste dont la densité nuit à l’appréhension du propos. La mise au jour du processus a pris le pas sur la recherche formelle et plastique, et l’émotion esthétique était aux abonnés absents. Si ce manque est regrettable et nous a laissé un goût d’inachevé, toute la force du projet réside dans sa singularité et sa radicalité. Prouvant, une fois encore, la position de fer de lance de la manifestation, cette Documenta déboussole et bouleverse jusqu’à la définition même de l’art.