L’Inguimbertine sort de l’ombre ce grand portraitiste en réunissant une soixantaine d’œuvres phares de sa carrière.
Carpentras (Vaucluse). Surnommé le « Van Dyck de la France » par une plume anonyme, célébré pour sa maîtrise du rendu des étoffes par ses contemporains, Joseph Siffred Duplessis (1725-1802) est pourtant relativement méconnu du grand public. Si ses tableaux ne sont pas absents des grandes collections, le portraitiste n’a jamais bénéficié d’une rétrospective. Et c’est à la bibliothèque-musée l’Inguimbertine de Carpentras, dans sa ville natale, que son œuvre est aujourd’hui mise en lumière. « Cette exposition, c’est d’abord un grand travail de recherche pour réunir le maximum d’informations sur l’artiste, séparer le bon grain de l’ivraie car on a ajouté à l’œuvre de Duplessis des tableaux qui ne sont pas de sa main », explique Xavier Salmon, conservateur au Louvre et spécialiste du portrait du XVIIIe siècle, qui a assuré le commissariat de l’exposition. Un travail d’investigation qui lui a permis de recenser environ deux cents œuvres attestées de l’artiste. Soixante d’entre elles sont ici exposées, offrant un riche condensé de ses vingt années d’une carrière brusquement interrompue à la Révolution.
Sa production artistique est très classique. Duplessis ne peint que des portraits de membres de la noblesse, de l’aristocratie et d’hommes de lettres, si ce n’est quelques très rares tableaux d’histoire qu’il réalise pendant son apprentissage dans l’atelier de Pierre Subleyras, et qui sont présentés dans le parcours. Des portraits qui témoignent, en revanche, d’une grande virtuosité à rendre le physique et les caractères. Les œuvres majeures de sa carrière sont exposées, à l’instar d’un imposant portrait de Louis XVI en grand habit royal, l’une des 54 répliques que le souverain commande à Duplessis entre 1776 et 1790. Certains tableaux proviennent des collections de l’Inguimbertine, qui détient le plus important fonds public de l’artiste (22 œuvres au total), mais la majorité ont été prêtés pour l’occasion. C’est le cas de son célèbre portrait de Benjamin Franklin [voir ill.], conservé au Metropolitan Museum of Art à New York, que Duplessis immortalise sans artifice lors de son séjour parisien et dont les traits figurent aujourd’hui sur tous les billets de 100 dollars. À l’inverse, quelques portraits inconnus, uniquement mentionnés dans des références d’archives jusqu’alors, ont été identifiés et sont présentés au public pour la première fois. Ainsi de celui, particulièrement réussi, de Madame Hue, épouse du peintre paysagiste Jean-François Hue, saisissant par le velouté de la carnation et la douceur de l’expression.
La scénographie, imaginée par l’agence Panoramas, invite le visiteur à progresser au rythme des changements de ton des cimaises, dans un parcours aménagé en ligne droite. Un accrochage peu aéré, contraint par l’exiguïté des lieux. L’espace restreint limite aussi le propos, exclusivement centré sur Duplessis alors qu’une contextualisation sur l’art du portrait de cour et sur l’émulation entre artistes aurait été bienvenue (ce d’autant plus que Duplessis a souvent été mis en regard avec le portraitiste suédois Alexandre Roslin, lui aussi membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture). L’accent est en revanche bien mis sur le processus créatif : trois répliques d’une même composition, placées côte à côte, mettent en évidence la manière dont fonctionne l’atelier. Régulièrement amené à peindre plusieurs versions, Duplessis se charge de l’exécution des visages, laissant à ses collaborateurs le soin de réaliser le reste du tableau. De même, la comparaison entre quelques dessins préparatoires et leurs portraits définitifs met en lumière d’éventuels changements de composition, souvent expressément réclamés par le commanditaire. Ainsi, l’étude inachevée de la jeune dauphine Marie-Antoinette, qui ne dissimule rien de son front bombé et de ses lèvres retroussées, se transforme en portrait idéalisé, aux traits adoucis.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Carpentras remet en lumière Duplessis, l’enfant du pays





