Arts premiers

Capter la puissance des ancêtres

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 536 mots

Le Musée du quai Branly révèle l’art de la Nouvelle-Irlande selon un parcours très didactique, entre ethnologie et esthétique.

 PARIS - L’art de Nouvelle-Irlande est essentiellement connu pour ses sculptures malagan, figures aux mille et un motifs dont raffolèrent les expressionnistes allemands et les surréalistes français. Le Musée du quai Branly, à Paris, en dévoile aujourd’hui de nouveaux aspects et montre la richesse des productions artistiques de cet archipel de Mélanésie (lire l’encadré). Particulièrement soignée, à la fois sobre et vivante, la scénographie offre de nombreuses clefs de lecture aux visiteurs : cartels et panneaux explicatifs des plus didactiques, carte géographique, projection de deux films relatant les rituels funéraires, présentation des pièces sur des socles évoquant le contexte d’origine.
Conçu selon une progression géographique, du sud au nord de l’île, le parcours permet de se familiariser avec les différents styles artistiques de ces objets choisis à la fois pour « leur qualité esthétique et leur force d’expression. Ils témoignent d’un moment étonnant de création artistique lié à une effervescence sociale qui se situe entre 1850 et 1914 », précise Philippe Peltier, commissaire de l’exposition avec Michael Gunn. Pour mener à bien leur projet, les deux scientifiques se sont rendus sur le terrain, mais ont aussi écumé les réserves des musées occidentaux – particulièrement ceux d’Allemagne – pour dénicher des pièces quasi inédites. Ainsi de ces figures d’ancêtres taillées en bois polychrome dans un seul bloc ou de ce rare masque issu de la région de Namatanai (zone de transition entre le nord et le centre de l’île). Délicatement éclairées, les imposantes statues uli se donnent à voir dans toute leur magnificence. À la fois féminines et masculines, ces grandes figures, exhibées sous des abris de feuillage lors des rituels funéraires, témoignent d’une iconographie complexe, faisant référence au pouvoir des grands chefs. La manifestation fait aussi la part belle aux fameux objets malagan, dont on peut ici apprécier à satiété les nombreux ornements entremêlant figures sculptées et peintes, humaines et animales. Destinés à honorer les morts, tous ces ouvrages ne représentent pas le monde réel, mais permettent de capter les manifestations de la puissance des ancêtres. « Nous espérons que les découvertes présentées dans l’exposition et dans son catalogue ouvriront la voie à des recherches plus poussées. Notre travail sur le terrain indique que, même dans le cas où les objets ne sont plus fabriqués depuis des décennies, le savoir qui les a fait naître reste vivant parmi les Néo-Irlandais, concluent les deux commissaires. L’information est détenue par des individus et par des clans et survit sous forme de fragments dans l’esprit de milliers de personnes ».

NOUVELLE IRLANDE – ARTS DU PACIFIQUE SUD

Jusqu’au 8 juillet, Musée du quai Branly, 222, rue de l’Université, 75007 Paris, tél. 01 56 61 70 00, www.quaibranly.fr, tlj sauf lundi, 10h-18h30 et 21h30 le jeudi. L’exposition se tiendra ensuite au Musée ethnologique de Berlin du 10 août au 11 novembre. Catalogue, 304 p., éditions des 5 Continents, 45 euros, ISBN 978-88-7439-368-8. - Commissariat : Philippe Peltier, conservateur en chef, responsable de l’unité patrimoniale Océanie-Insulinde, au Musée du quai Branly ; Michael Gunn, conservateur associé, spécialisé dans l’art d’Océanie, au département des arts d’Afrique et d’Océanie et des Amériques, du Saint-Louis Art Museum (États-Unis) - Nombre de pièces : 130

L’archipel des « big men »

Située dans le Pacifique, au nord de la Nouvelle-Guinée, dans ce vaste ensemble qu’est la Mélanésie, l’île de la Nouvelle-Irlande forme, avec la Nouvelle-Bretagne et pléthore d’autres îles plus petites, une entité géographique baptisée archipel Bismarck – souvenir de la période coloniale allemande qui dura jusqu’en 1914. L’origine des populations de Nouvelle-Irlande est à chercher du côté de l’Asie du Sud-Est d’où de petits groupes commencèrent à migrer, il y a près de 35 000 ans. Actuellement, 18 langues y sont parlées, héritières des langages papous, d’une part, et austronésiens, d’autre part. Autrefois installée dans les montagnes, la majorité de la population habite aujourd’hui des villages côtiers, souvent situés à l’abord d’une passe dans le récif corallien. Les sociétés de l’île sont divisées en clans, dirigés chacun par un « big man », choisi pour ses capacités à rassembler.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°258 du 27 avril 2007, avec le titre suivant : Capter la puissance des ancêtres

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