ART CONTEMPORAIN

Camille Henrot, les jours avec et les jours sans

Par Magali Lesauvage · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2017 - 658 mots

Pour sa « carte blanche » au Palais de Tokyo, l’artiste égrène les sept jours de la semaine. Un fil rouge un peu artificiel.

Paris. En 2013, pour la « carte blanche » que lui accordait le Palais de Tokyo, Philippe Parreno donnait vie, par des variations de son et de lumière, à ce paquebot amarré à la colline du Trocadéro. En 2016, Tino Sehgal jouait aussi sur la mélancolie de ces grands espaces bruts pour une exposition vide mais vivante, où la parole circulait en souffle continu. À rebours, la carte blanche confiée cet automne à Camille Henrot, artiste française âgée de 39 ans et installée à New York, est une exposition du « plein ». Prenant au mot l’invitation, l’artiste occupe l’intégralité du bâtiment avec des vidéos, sculptures, peintures, dessins… – rien n’y manque. Et provoque rapidement une sensation de remplissage, dont le fil conducteur trop léger, dilué dans une surcharge de références, épuise l’attention du visiteur. S’y ajoutent les œuvres d’artistes invités, parmi lesquels se distinguent David Horvitz et Avery Singer, aux toiles en surimpression énigmatiques.

« Days are dogs », tel est le titre de cette exposition qui se propose de caractériser de manière formelle les sept jours de la semaine, évoqués dans chaque salle sur des feuilles d’agenda agrandies. Le lundi pour la Lune, le mardi pour Mars, le mercredi pour Mercure… : chaque journée est ainsi associée à une figure mythologique mais aussi à une humeur. Les jours sont des chiens, selon l’artiste, qui souhaite, par cette partition hebdomadaire, traduire notre dépendance à cette organisation autoritaire du temps qui, dit-elle, « régit ce qu’il y a de plus personnel chez un individu ». Sur ce découpage conventionnel, Camille Henrot plaque de manière assez artificielle des sentiments subjectifs et une conception de la semaine quelque peu dépassée – à l’ère d’Internet et des échanges instantanés, les différences entre le mardi et le jeudi ou le dimanche ne s’estompent-elles pas ?

Plus intéressante est son exploration des états de l’âme, qui aurait pu être développée sans s’encombrer de cette théorie hebdomadaire. Au samedi, avec lequel débute l’exposition, est associée la ferveur et l’espérance, sensibles dans film Saturday (2017), tourné en 3D. Quatre ans après la vidéo Grosse fatigue, qui lui valut en 2013 le Lion d’argent à la Biennale de Venise, Camille Henrot démontre son talent de monteuse : ici se télescopent les images d’un call center adventiste, de tests neurologiques et de surf, soulignées par le déroulement de phylactères de news. Un maelström de sensations qui s’échouent bientôt en un fatras bordélique. Le dimanche s’étale ainsi en amoncellements d’objets sur fond bleu nuit, reprise de l’installation The Pale Fox présentée à Bétonsalon en 2014. Juste avant, d’épais ressorts de matelas sont venus rappeler que c’est (du moins en Occident) le jour du repos, tandis que le capharnaüm de souvenirs, parsemé de sculptures modernistes et de bouquets japonais ikebana, fait plonger le spectateur dans le cerveau en surrégime de l’artiste.

Dimension égocentrique
Du lundi émane la lumière et une mélancolie, évoquée par des figures de l’attente, dessinées et sculptées à la manière de Matisse ou Henry Moore.
Mardi, jour de Mars, dieu de la guerre : le film Tuesday (2017) montre des séances de jiu-jitsu, tandis que sur un tatami des sculptures métalliques maintenues en tension par des cordages forment l’ensemble le plus fort de l’exposition.
Mercredi, jour de Mercure, dieu messager : dans le Bureau des e-mails sans réponse, Camille Henrot déploie en rouleaux infinis les spams reçus, agrandis en bannières molles, tandis que des téléphones cartoonesques sont reliés à des hotlines impersonnelles.
Jeudi (Jupiter, le pouvoir), un chemin de piécettes conduit à Grosse fatigue, qui fait jaillir en pop-up le système de circulation des connaissances.
Enfin, vendredi, jour de Vénus : dans les entrailles du Palais dialoguent un vaste herbier autobiographique et Deep inside (2005), film expérimental et érotique. Un final onaniste qui rappelle la dimension égocentrique de l’exposition, dans un trop-plein d’auto-références dont le spectateur ne retiendra que peu de chose.

Days are dogs. Carte blanche à Camille Henrot,
jusqu’au 7 janvier 2018, Palais de Tokyo, 13, av. du Président-Wilson, 75116 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Camille Henrot, les jours avec et les jours sans

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque