Art moderne

Impressionnisme

Caillebotte en son pays

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2014 - 631 mots

La Propriété Caillebotte à Yerres revient sur les années fondatrices du peintre dans son environnement familier et familial.

YERRES - À imaginer les milliers de dollars générés par les simples droits de reproduction de Rue de Paris, temps de pluie (1877), et tombant chaque année dans l’escarcelle de l’Art Institute de Chicago dont il est la « Joconde », la relative méconnaissance voire ignorance qui entourait son auteur Gustave Caillebotte (1848-1894) il y a encore trente ans est difficile à concevoir. Sur le même élan de redécouverte ponctué en France en 1994 par la grande rétrospective du Grand Palais, la commune d’Yerres (Essonne) tente depuis peu de prendre place sur l’échiquier touristique de l’impressionnisme, comme Giverny a réussi à le faire avec la maison de Claude Monet. Propriétaire depuis 1973 du domaine familial qui fut la résidence d’été des Caillebotte de 1860 à 1879, Yerres a entrepris de restaurer les lieux et son vaste parc – la demeure principale, le Casin, accueille un espace retraçant l’histoire du domaine, l’orangerie a été reconvertie en salon de thé et la Ferme ornée transformée en centre d’art et d’exposition.

C’est dans ce cadre familial que font aujourd’hui leur retour une quarantaine d’œuvres peintes ici en été par Caillebotte dans les années 1870. De la pochade la plus délicieuse capturant un bout de jardin au détour d’une matinée ensoleillée aux compositions retravaillées avec ambition, la proximité avec la nature en est le dénominateur commun. Comme s’il existait côté pile Caillebotte le Parisien – l’hiver, les boulevards, l’asphalte et les appartements haussmanniens –, et côté face Caillebotte le Yerrois – l’été, la fraîcheur de l’eau, les canots et les chapeaux de paille. Leur point de jonction pourrait être le Canotier au chapeau haut de forme (partie de bateau) (1878), ce Parisien en haut-de-forme et bras de chemise qui s’improvise rameur dans l’une des compositions les plus audacieuses de Caillebotte.

Des pprêts exceptionnels
Avec le temps, certaines de ces toiles sont devenues la propriété chérie des musées les plus prestigieux. Nul ne niera donc le tour de force que constitue le prêt d’œuvres de Washington, Milwaukee ou Bloomington à Yerres, qui n’a pas grand-chose à leur proposer en échange si ce n’est un voyage dans le temps. La réunion du triptyque de 1878, que le peintre avait simplement intitulé Panneaux décoratifs, vaut à lui seul le détour – Pêche à la ligne et Baigneurs, bords de l’Yerres appartiennent à deux branches différentes des héritiers de l’artiste tandis que Périssoires sur l’Yerres provient du Musée des beaux-arts de Rennes. La large proportion des œuvres prêtées par les descendants Caillebotte assure en effet la grande cohérence de l’ensemble.

Manipulation visuelle
Une simple promenade dans le parc et au bord de l’Yerres, mince cours d’eau qui longe la propriété, donne l’idée de la manipulation visuelle à laquelle se livre Caillebotte pour les œuvres qu’il destine au public. Les périssoires glissent sur un miroir d’eau deux à trois fois plus large que l’Yerres, les parterres de fleurs se déplacent au gré de l’équilibre de la composition, les axes et les perspectives sont allègrement faussées… Contrairement à ses confrères impressionnistes qu’il lui arrivait d’aider financièrement, Caillebotte n’avait pas pour ambition de vivre de son art. Sa liberté matérielle se doublait donc d’une liberté artistique. En témoigne l’autre versant de son œuvre yerroise, constitué d’une multitude de paysages naturalistes de petit format. Ces pochades réalisées dans divers recoins de la propriété sont la preuve d’une activité et d’une curiosité incessantes. La propriété de Yerres est un terrain de jeu infini, capable d’être interprété avec les yeux naturalistes d’un Bastien-Lepage (Prairie à Yerres) comme de prendre l’accent du Japon (L’Yerres, effet de pluie).

Caillebotte À Yerres

Commissaire : Serge Lemoine, professeur émérite d’histoire de l’art à la Sorbonne et ancien président du Musée d’Orsay

Caillebotte à Yerres, au temps de l’impressionnisme

Jusqu’au 20 juillet, Propriété Caillebotte, 8, rue de Concy, 91330 Yerres, tél. 01 80 37 20 61
www.proprietecaillebotte.com
tlj 10h-18h sauf lundi, 10h-20h30 le vendredi et le samedi. Catalogue, coéd. Flammarion/Ville de Yerres, 168 p., 25,50 €.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°413 du 9 mai 2014, avec le titre suivant : Caillebotte en son pays

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque