Intégral

Bruno Peinado partage ses utopies

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2016 - 754 mots

Les installations colorées de Bruno Peinado investissent totalement l’espace du Mrac qui s’est agrandi en annexant une partie de la poste voisine.

SERIGNAN - C’est toujours un pari risqué de laisser entre les mains d’un créateur pratiquement l’espace entier d’un musée. En faisant confiance à Bruno Peinado, Sandra Patron, la directrice du Mrac (Musée régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées) ne s’est pas trompée car l’artiste a su fabriquer un univers foisonnant et ludique.

Le titre, plutôt énigmatique, « Il faut reconstruire l’Hacienda » – à l’instar d’« Il faut détruire Carthage » – renvoie à une double explication. D’abord, c’est le nom d’un manifeste situationniste des années 1950 signé par Ivan Chtcheglov, qui prône une utopie basée sur de nouveaux désirs. Mais, plus important, c’est un hommage à une boîte de nuit mythique de Manchester qui portait la même appellation et où l’on pratiquait systématiquement le mélange entre les arts plastiques, le graphisme et la musique. S’inscrivant dans la même volonté de décloisonnement des genres, Peinado fait appel aux installations, aux objets et aux tableaux pour occuper les différentes salles.

Reconstruire une réalité
Dès le rez-de-chaussée, les deux installations imbriquées l’une dans l’autre sont spectaculaires. La première est tout simplement la reconstitution du dance floor du même club anglais. Rien n’y manque, une lumière tamisée, des spots clignotants, un système électrique pour les instruments musicaux, des places pour les spectateurs… Cependant, si cette manière de répliquer la réalité remonte déjà aux installations des années 1960 – le Bedroom Ensemble d’Oldenburg –, l’originalité de Peinado est de déployer autour de cette piste de danse ce qui semble être un jeu de construction géant pour enfants. Construction ou constructivisme, car les cubes colorés distribués de façon plus ou moins régulière, sont en même temps des volumes abstraits qui perturbent la vision figurative de l’ensemble.

Cet aspect hétéroclite ou ambigu caractérise l’ensemble des travaux présentés au Mrac. Ainsi, à l’étage, Hand me down your love (2016) est formé à partir des rochers informes aux couleurs pastel sur lesquels sont posés des moulages multiples de mains. Geste de caresse ou acte de création ? Mais n’est-ce pas la même chose ? Ailleurs, Sans titre, Shack up with (2014-2016) est un bric-à-brac où les objets évoquent des jouets dispersés – l’artiste a réalisé cette installation avec sa compagne et leurs deux filles – un magasin de souvenirs, un cabinet de curiosités qui ne craint pas le kitsch : un oreiller argenté gonflé, des fleurs artificielles, un toutou (un lion ?) un peu gauche… À  côté des installations, une prolifération (plus de 200) de peintures et de dessins forme un parcours où Bruno Peinado semble se livrer à une série infinie d’expériences avec des techniques et des supports qui sont des « tableaux en pâte à modeler, des marbrures en verre coulé, des sérigraphies sur miroir, des châssis en acier peint ou des vidéos-peintures ». Moins abouties que les installations, ces œuvres deviennent des fragments au service d’un puzzle interminable, un jeu de miroirs qui ne font qu’échanger leurs reflets.

Bruno Peinado

Commissaire : Sandra Patron
Œuvres : 300

Le musée de Sérignan s’agrandit

Et si, au lieu de faire passer le code de la route pour l’obtention du permis de conduire, les postiers devenaient des médiateurs culturels, spécialisés dans l’art contemporain ? Une idée incongrue ? Pas à Sérignan. En arrivant au bureau de poste, dont les heures d’ouverture n’ont pas été modifiées, le visiteur découvre que le premier étage est désormais occupé par le Musée régional d’art contemporain (MRAC). Ayant obtenu un dépôt substantiel du Fonds national d’art contemporain, le musée, à l’étroit dans ses murs et dans l’impossibilité de construire une aile supplémentaire, a eu recours à cette solution originale. Le nouvel espace de 450 m2, acquis par la Région auprès de la ville en 2013, pour la somme de 1,80 million d’euros, permet de déployer les 167 œuvres – 64 artistes de 17 nations différentes - et entreprendre un programme plus étoffé d’expositions temporaires. Pour l’inauguration récente, Bruno Peinado a transformé cette extension en un musée à ciel ouvert ; des panneaux, le plus souvent monochromes, sont accrochés aux murs. Produits, selon la notice, « avec les techniques et les matériaux de la signalétique (panneaux luminescents, caissons lumineux rétro-éclairés, panneaux trivision) », ils brouillent les frontières entre la publicité, les signes d’ordre fonctionnel et les composants esthétiques. Un jeu subtil, un dialogue entre les couleurs claires et contrastées, les différentes formes géométriques, le beau et l’utile, l’art et le réel, et qui passe ici comme une lettre à la poste.

Il faut reconstruire l’Hacienda, Bruno Peinado

jusqu’au 9 octobre, Mrac, 146 avenue de la Plage, 34410 Sérignan, tél 04 67 32 33 05, mrac.languedocroussillon.fr, tous les jours sauf lundi 11h-19h, ent 5 €.

Légende Photo :
Bruno Peinado, Il faut reconstruire l’Hacienda, 2016, œuvre pérenne sur la façade de l’extension du Mrac LRMP, Sérignan. © Photo : Aurélien Mole.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : Bruno Peinado partage ses utopies

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