Bretagne Japon - Le levant sur le pont

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 26 juin 2012 - 1477 mots

La Bretagne recense douze expositions articulées autour du Japon. Manière de célébrer, par-delà les abysses longitudinaux, des affinités artistiques et des proximités esthétiques. La rencontre de deux « finistères »…

Qui observe la Marine bleue (vers 1893), le chef-d’œuvre de Georges Lacombe, est d’emblée stupéfié par ses couleurs, par cette collusion des nuages saumon et de la surface outremer, de l’écume jaune et des reflets mauves, de ces complémentaires stridentes que l’on croirait empruntées à Van Gogh. Qui oublie un temps ce tumulte chromatique est frappé par le graphisme de la toile, par cette énorme vague qui ourle et qui hurle, qui charrie une mer épaisse et incandescente comme de la lave. Qui scrute cette toile, avec ses couleurs caribéennes, peine à retrouver la vérité topographique du littoral breton, avec ses côtes d’émeraude ou de granit rose, avec ses ciels d’averse et de traîne.
C’est que la source vive de ce déluge plastique est à chercher du côté du Japon, de cet archipel qui, dans la seconde moitié du XIXe siècle, allait devenir un incomparable réservoir de formes. Un réservoir d’une rare fertilité si l’on veut bien considérer le nombre pléthorique d’artistes ayant succombé à cette obsession, à ce japonisme qui excentra des décennies durant le foyer des influences. Qui parcourt ces douze expositions aujourd’hui essaimées en Bretagne comprendra ainsi que Lacombe doit moins à Joseph Vernet ou Eugène Boudin qu’à Ando Hiroshige et ses Tourbillons de Naruto à Awa (1855). La Marine bleue, comme une toile programmatique, comme un manifeste pour cet événement polycéphale.

Exotismes
La fascination pour le Japon est ancienne. Elle se trahit par la conquête du planisphère et par les nombreux comptoirs établis patiemment par la Compagnie des Indes orientales sur les rivages nippons. Le XVIIe siècle est le berceau chronologique de cet engouement. Il voit notamment fleurir des relevés précis des bases que Portugais et Hollandais revendiquent désormais sur l’archipel (Anonyme, Comptoir de Deshima, 1680). La progression de la connaissance est identique à celle des navires : effrénée.
En cette période heurtée, le Japon profite des luttes intestines chinoises pour diffuser, alors seul au monde, des porcelaines d’une qualité irréprochable que s’arrache le Vieux Monde, dont la Bretagne est alors un avant-poste maritime stratégique. Sise au Musée de la Compagnie des Indes, l’exposition lorientaise donne ainsi à voir la richesse des pièces Imari, ces porcelaines flamboyantes devenues des témoignages virtuoses de cette aventure pionnière (Plat aux papillons, XVIIIe siècle).

Japonismes
Mais il faut attendre le XIXe siècle et le traité de commerce et d’amitié signé en 1858 entre la France et le Japon pour que celui-ci ne soit plus un mot intimidant mais une contrée accessible. Nombreux sont les bateaux à quitter Brest pour le tropique nippon tandis que, symétriquement, les vaisseaux levantins accostent les rivages bretons. Preuves de cette odyssée bilatérale, le précieux journal que le prince Tokugawa rédige lors de son voyage en Bretagne de 1868 et les photographies indélébiles que Francis Hennequin rapporte de son séjour japonais de 1912 et que le Port-Musée de Douarnenez a présentées deux mois durant.
1867 sonne le réveil du Japon au monde. L’Exposition universelle de Paris réserve en effet au pays du Soleil-Levant une place substantielle. Les artistes célèbrent unanimement ces œuvres multiformes qui, à l’égal des toiles de Courbet ou de Manet, viennent régénérer la création occidentale. Bigarrées, elles rappellent également que le japonisme est un mot labile, rétif à toute définition péremptoire.
Il y a bien des japonismes, pluriels et hétérogènes, puisque peintres et sculpteurs puisèrent diversement dans ce vocabulaire inédit : armures de samouraïs, statuettes en ivoire, palanquins miniatures, objets laqués (Bol à couvercle, 1840-1844). C’est donc une histoire de l’art comme une histoire du goût que convoque le japonisme en Bretagne, des histoires qu’a doctement dévoilées le Musée des beaux-arts de Brest en exposant des pièces prestigieuses issues de son fonds japonais.

Estampes
Rapidement, l’art japonais peuple les galeries parisiennes, les cabinets de curiosités et l’imaginaire collectif. Les objets saturent les espaces autant qu’ils hantent les esprits. L’estampe, facile à manipuler, aisée à diffuser, devient le vecteur privilégié de cette mode japonaise qui convertit tous les artistes – Van Gogh, Manet ou Whistler. C’est elle que les marchands et les collectionneurs convoitent. C’est elle dont le Musée des beaux-arts de Rennes entend expliciter le rôle fondateur et crucial (Hokuei, Les Acteurs Iwai Shijaku n° 1 et Bando Jutaro, vers 1830). C’est l’estampe, avec sa pureté graphique et sa force chromatique, qui féconde de nombreuses œuvres réalisées en Bretagne et leur inocule un venin non pas létal, mais éminemment vivifiant.
L’estampe introduit bien plus qu’une simple imagerie pittoresque. Elle autorise des innovations plastiques pour le moins révolutionnaires : plébiscite de l’aplat, revendication de l’asymétrie, juxtaposition de couleurs hardies, recours au cerne pour cloisonner les formes. Elle bouleverse littéralement les perspectives et invite, avec le Musée départemental breton de Quimper, à revoir sa généalogie, à faire d’Utamaro un cousin de Goya, d’Hokusai et d’Hiroshige les aïeux d’Auguste Lepère et d’Henri Rivière (Départ des sardiniers à Tréboul, 1893).

Motifs
Au XIXe siècle, les œuvres japonaises irriguent la Bretagne avec force. Par leurs techniques inédites, certes, mais aussi par leurs motifs déroutants pour qui était rompu à l’enseignement académique et à la tradition européenne. Venues d’un pays rêvé, les estampes déclinent des images non plus organisées selon une stricte perspective et des effets illusionnistes savants, mais avec des effets extrêmement graphiques, parfois troublants : ici, la pluie est un voile optique, là, une diagonale rature la composition ; ici, l’espace et le temps paraissent suspendus (Hokusai, Le Lac Suwa dans la province de Shinano, 1830-1832), là, les personnages et la nature semblent indifférents à tout naturalisme (Utagawa, Scène de
théâtre, 1828).
Contrairement à la production occidentale, qui entend hiérarchiser les masses, distribuer les groupes et fluidifier les transitions, l’esthétique japonaise n’hésite pas à encourager la forme qui fait écran, l’élément qui obstrue la lisibilité. Paul Sérusier (Le Bois sacré, 1891) ou Émile Bernard (Bretonneries, 1888-1889) se souviendront de cette leçon, eux qui firent de l’arbre un expédient astucieux pour jouer d’effets d’écran, de répétition, de décentrement, voire de zoom, autant de licences formelles qu’a parfaitement illustrées le Musée des beaux-arts de Quimper.

Traditions
Le japonisme a beau être une tendance européenne, un diapason continental, l’art du pays du Soleil-Levant se distingue par la place de choix qu’il accorde à la culture indigène, à la tradition locale. Et n’est-ce pas cette tradition qui permet de suturer la Bretagne et le Japon, ces deux terres extrêmes ayant fait de la survivance artistique et de la culture populaire des credo esthétiques ?
Explicités à Saint-Brieuc, Brest, Morlaix et Lamballe, les parcours respectifs d’Henri Rivière, de Félix Bracquemond, de Claude Monet (Pluie à Belle-Île-en-Mer, 1886) et de Mathurin Méheut (Le Printemps à Kyôto, 1934) attestent la ferveur japonisante des artistes bretons ou installés en Bretagne. La recherche pittoresque, la préséance maritime, la propension décorative et la rudesse géologique articulent des œuvres qui, sinon, auraient paru éloignées les unes des autres.
La tradition n’est donc pas l’ancre du passé, mais le ferment de l’avenir, celle par qui hier rejoint demain, le singulier l’universel et la Bretagne le Japon. Par-delà les temps, les différences et les océans. Deux Finistère, comme deux refuges de la beauté inaltérée, première et primitive.

Les chemins du fest-noz en Finistère

Ouverts aux influences étrangères, les Bretons n’en perpétuent pas moins leur appartenance à une culture singulière avec les marqueurs identitaires que sont la langue, la musique et la danse traditionnelle. Thème fédérateur par excellence, la musique a été choisie par l’établissement public de coopération culturelle (EPCC) « Chemins du patrimoine en Finistère » pour sa première programmation collective d’expositions. Déclinée en trois manifestations sonores organisées dans trois des cinq sites qui constituent l’EPCC (à l’abbaye de Daoulas, au château de Kerjean et au manoir de Kernault), la musique est envisagée selon des thématiques typiquement bretonnes mais aussi en tant que résultat d’échanges culturels.

Musique et oralité
L’exploration débute au château de Kerjean avec l’histoire de la musique bretonne et de ses deux instruments phares : le biniou et la bombarde. L’exposition aborde les particularités de ces instruments et rappelle leur importance au sein de la culture contemporaine, notamment lors de festivités comme la noce et le fest-noz. En complément de cette approche instrumentale, le manoir de Kernault met à l’honneur l’oralité, à l’heure de la possible inscription des complaintes bretonnes au patrimoine immatériel de l’Unesco. Une plongée dans le chant traditionnel qui dévoile des pratiques populaires peu connues, par exemple les concours de chants folkloriques ou la randonnée chantée. Changement de latitude à l’abbaye de Daoulas où les cultures du monde sont mises en résonance par le biais de l’ethnomusicologie dans une exposition qui fait la part belle à l’interactivité. Tour à tour chef d’orchestre, ethnologue ou encore DJ, le visiteur est invité à parcourir la musique populaire aux quatre coins du monde et à y débusquer la survivance des particularismes culturels en marge de la mondialisation (www.cdp29.fr).

Liste des expositions programmées cet été pour Bretagne-Japon 2012 :

- « Nostalgie du Soleil levant, le goût pour l’art japonais ». Musée des beaux-arts de Rennes. Jusqu’au 26 août. www.mbar.org

- « Odyssée de l’Imari ». Hôtel Gabriel, Enclos du port, à Lorient. Jusqu’au 2 septembre. www.musee.lorient.fr

- « Gyotaku, l’art de l’empreinte ». Musée de la pêche à Concarneau. Jusqu’au 30 septembre. www.musee-peche.fr

- « Le Japon dans la correspondance de Mathurin Méheut ». Musée Yvonne Jean-Haffen-Maison d’artiste de La Grande Vigne à Dinan. Jusqu’au 30 septembre. www.mairie-dinan.com

- « La vague japoniste ». Musée des beaux-arts de Brest. Du 4 juillet au 4 novembre. http://musee.brest.fr

- « Empreinte d’un voyage au Japon ». Musée Mathurin Méheut à Lamballe. Jusqu’au 29 décembre. Tél. 02”‰96”‰31”‰19”‰99

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°648 du 1 juillet 2012, avec le titre suivant : Bretagne Japon - Le levant sur le pont

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