ART CONTEMPORAIN

« Braguino » : Clément Cogitore filme un huis clos en pleine nature

Par Magali Lesauvage · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2017 - 467 mots

L’artiste et réalisateur expose au Bal des extraits d’un film tourné aux confins de la Sibérie, dans une famille isolée du reste du monde.

Paris.« Je vis ici depuis quarante ans. Je n’ai jamais vu les traces de pas d’un autre homme. » Celui qui s’exprime en ces termes s’appelle Sacha Braguine. Le lieu-dit où il vit, situé à 700 km de toute habitation, dans la taïga sibérienne, porte le même nom que lui. La soixantaine édentée, le voici, entouré de ses ouailles, enfants de tous âges dont la beauté angélique se décline en nuancier de blond platine, dans la cabane qu’il a lui-même construite, éclairée d’une unique lampe à pétrole. Misanthrope forcené (les hommes hors du camp sont dénommés « les corrompus »), Braguine faisait autrefois partie d’une communauté de vieux-croyants (groupe séparé de l’Église orthodoxe russe), dont la rigueur, semble-t-il, ne lui suffisait pas. Parti s’enfoncer plus loin encore dans les espaces sauvages, il a emmené avec lui une femme et fondé un foyer dans la boucle d’un fleuve qu’affectionnent aussi les ours bruns. Quelques années plus tard, la sœur de son épouse les a rejoints avec sa famille, les Kiline, avant qu’un mur ne soit rapidement érigé entre les deux familles. Le paradis perdu est alors devenu un enfer, celui d’une guerre fratricide aux accents bibliques.

Pour aller filmer cette histoire, Clément Cogitore a emprunté tous les moyens de transport : avion, route, puis bateau et enfin hélicoptère de l’armée qui, en compagnie d’un technicien et d’une traductrice, les ont lâchés là, au milieu de nulle part. À la merci de ce groupe humain dont ils ne savaient rien. L’aventure, plongée dans une nature vierge aux confins de la folie, évoque la nouvelle Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Déjà reconnu par les milieux à la fois du cinéma (avec le long-métrage Ni le ciel ni la terre en 2015) et de l’art contemporain (il a remporté le prix Fondation d’entreprise Ricard en 2016), Clément Cogitore a réalisé un film, Braguino ou la communauté impossible (à voir en salles à partir du 1er novembre), qu’il décompose au Bal dans une installation autonome. Des extraits sont projetés en boucle dans des sortes d’abris – une « plasticisation » (ou « trailerisation ») d’un film qui n’en avait nul besoin.

Puisant dans un romantisme relativement appuyé, à travers une série de paysages aux tons pastel et poudreux, ou au contraire au fort contraste caravagesque, Braguino est, selon le réalisateur, son « projet le plus documentaire ». Or la caméra furtive ne fait que glisser sur le sujet qu’elle aborde par ellipse, captivée par « toute cette beauté incroyable » qu’évoque Braguine, s’attachant plus aux jeux des enfants qu’aux disputes des adultes. Ainsi, si le film recèle quelques scènes brutales, comme l’exécution et le dépeçage d’un ours, l’exposition tend à idéaliser un cauchemar érigé en conte de fées.

Clément Cogitore, Braguino ou la communauté impossible,
jusqu’au 23 décembre, Le Bal, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°487 du 20 octobre 2017, avec le titre suivant : « Braguino » : Clément Cogitore filme un huis clos en pleine nature

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