Photographie

Rétrospective

Bettina Rheims sème toujours le trouble

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 16 février 2016 - 691 mots

La Maison européenne de la photographie lui offre sa première grande exposition à Paris, autour du thème de la femme. L’événement aurait gagné à intégrer ses archives personnelles et familiales.

PARIS - Rares sont les photographes qui ont eu le privilège de disposer d’autant d’espace à la Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris. Ils n’ont été que deux dans l’histoire de l’institution : Sebastião Salgado en 2013-2014 et aujourd’hui Bettina Rheims. Bien avant l’ouverture de la MEP, déjà, et l’exposition entre ses murs « Modern Lovers » en 1990, Jean-Luc Monterosso a été avec l’écrivain et critique Bernard Lamarche-Vadel, dès la fin des années 1970, l’ami attentif à ses portraits. Il lui a porté un soutien indéfectible. Si le Centre Pompidou lui a offert en 1981 sa première exposition personnelle intitulée « Portraits », la MEP demeure la seule institution à défendre son travail en dehors d’Hugues Autexier et François Braunschweig de la galerie Texbraun, puis, après leur décès, de Jérôme de Noirmont. En quarante ans de carrière, les expositions « Bettina Rheims » ont de fait été rares à Paris, et la présence de ses photographies dans les collections publiques se révèle plus que clairsemée.

Depuis la violente polémique d’I.N.R.I (1) en 2000 à la MEP, Bettina Rheims n’a été présentée qu’à la Bibliothèque nationale de France, en 2010, avec « Rose, c’est Paris », réalisée avec la complicité de Serge Bramly. Sa première rétrospective, « Can You Find Happiness » n’a pas trouvé preneur dans la capitale au cours de sa tournée en Europe. Le Musée d’art contemporain de Lyon, sous le commissariat de son directeur, Thierry Raspail, aura ainsi été en 2006 la seule étape française après le Helsinki City Art Museum, le NRW-Forum à Düsseldorf, le Kunsthal de Rotterdam et la Moscow House of Photography à Moscou, parmi d’autres lieux. C’est dire l’importance de la rétrospective actuelle coproduite avec le Fotografiska Museet de Stockholm et signée Vanessa Mourot, directrice du studio de la photographe.

Une grande portraitiste
Comme dans l’ouvrage édité par Taschen à cette occasion, projets commerciaux et personnels ont été réunis. Soit 200 photographies, dont certaines sont montrées pour la première fois ou issues de séries récentes comme les « Détenues », réalisée en 2014 dans différentes prisons. Mais, à la différence de la monographie Taschen, les archives familiales et personnelles liées à son itinéraire de photographe n’ont pas été retenues par la MEP. Absents ainsi les portraits de ses parents et de leurs amis, de Picasso en particulier, l’ami de son père Maurice Rheims, ou de Joyce Mansour, l’amie de sa mère. Tout aussi absents les Texbraun, Helmut Newton…,  et Jacques Chirac dont elle réalisa le portrait officiel.  Or, dans cette succession de grands formats, dépourvue de rythmes et de parti pris, ces archives font cruellement défaut. D’autant qu’elles sont instructives relativement à  l’enfance et au parcours particulièrement riche entre mode, publicité, cinéma, célébrités et amitiés. Et qu’elles contiennent parfois de véritables récits, à l’exemple de cette planche-contact particulièrement savoureuse de « nannies » de familles illustres photographiées lors des 90 ans de la nurse de la famille. Mais Bettina Rheims, qui pourtant a toujours mené de front et confondu productions commerciales et projets personnels, n’a pas voulu y mêler les archives. Elle n’a pourtant rien à prouver. Elle est une grande portraitiste que marques, magazines ou stars comme Madonna ou Michael Douglas ont sollicitée. Car elle manie aussi bien le glamour, l’artifice que le subversif ou l’humanisme. Et cette liberté d’expression ou de réinterprétation, qu’elle concerne la sensualité, le sexe, le genre ou la religion, se joue souvent dans ses images au travers d’un jeu de rôle. Peu d’hommes dans l’iconographie de l’œuvre, beaucoup de femmes en revanche avec des figures récurrentes comme les actrices Charlotte Rampling, Kristin Scott-Thomas, Monica Bellucci ou Laetitia Casta, et d’innombrables fictions où corps et visages réinventent ou se réapproprient à l’excès les codes de la séduction, de la beauté ou du fantasme.

Note

(1) Cette relecture de la vie du Christ réalisée en collaboration avec Serge Bramly a suscité des réactions d’intégristes et notamment deux actions en référé, perdues par ceux qui les avaient intenté.

Bettina Rheims

Jusqu’au 27 mars, Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, tlj sauf lundi et mardi, 11h-19h45, entrée 8 €. Publication Bettina Rheims, Patrick Remy, éd. Taschen, 598 p., 59,99 €, édition originale 500 €.

Légende photo
Bettina Rheims, Kristin Scott Thomas playing with a blond wig, May 2002, Paris. © Bettina Rheims.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Bettina Rheims sème toujours le trouble

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