Art ancien

Londres

Beauté anglaise

Au V&A, retour flamboyant sur un art de vivre, entre tapisseries à fleurs et beautés antiques

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2011 - 759 mots

LONDRES - Somptueuse et pléthorique, l’exposition « Le culte de la beauté. Mouvement esthétique 1860-1900 » au Victoria & Albert Museum (V&A), à Londres, met en lumière artistes, décorateurs et hommes de lettres qui évoluèrent dans l’entourage de Dante Gabriel Rossetti, Oscar Wilde ou William Morris au cours de la seconde moitié du XIXe siècle dans la capitale britannique.

Les acteurs du « mouvement esthétique » partent en quête d’un idéal de beauté lié étroitement à leur vie de tous les jours. Un véritable art de vivre à l’anglaise, à une époque où la révolution industrielle bat son plein, où la modernité est élevée au rang de religion et où le règne victorien s’essouffle. La confrérie des préraphaélites a déjà commencé à réagir, en proposant un retour aux canons esthétiques antiques contre une modernité détestée. Les artistes du mouvement esthétique et les décorateurs du courant Arts and Crafts reprennent le flambeau, sans former un groupe cohérent, mais plutôt une communauté de personnalités visant un même but : la recherche du beau.
Le titre de l’exposition est tout à fait révélateur de l’engouement et de l’engagement des artistes et de leurs admirateurs : le mot « culte » ne semble pas excessif, tant cette recherche intègre tous les aspects de leur vie. Ce ne sont pas tant les objets qui font l’art que la manière dont ceux-ci vont être agencés entre eux et la manière dont les hommes vont évoluer au sein de cet univers recréé. De ce point de vue, la scénographie choisie est tout à fait pertinente : couleurs, jeux de lumière et parcours mêlant objets d’art, costumes, tapisseries, dessins, photographies, peintures et sculptures confèrent à l’ensemble un sentiment prégnant de luxe, d’opulence et de flamboyance. C’est en peinture que le culte du Beau se manifeste en premier, révolutionnant profondément les canons féminins. À contempler la galerie de portraits réunis dans la première partie du parcours, il est difficile de se rendre tout à fait compte de la subversion de telles œuvres dans les mentalités de la bonne bourgeoisie victorienne.
De Pavonia (1858), femme romaine au teint olivâtre de Frederic Leighton, à Bocca Baciata (1859), rousse sculpturale de Dante Gabriel Rossetti, ces beautés exaltent un charme exotique et sauvage, loin de la femme anglaise à la blondeur éthérée du début du siècle. La rousseur vulgaire des femmes de basse extraction devient l’archétype de la féminité antique entourée de mystère. La transformation se joue également dans le choix des sujets. Le substrat littéraire devient moins primordial, les scènes anecdotiques, les artistes privilégiant des compositions équilibrées et des harmonies colorées. Sans pour autant signifier que les artistes s’isolent de la scène littéraire, bien au contraire. William Morris, décorateur, fondateur de la célèbre manufacture Morris & Co., est un écrivain de sagas médiévales. Ses poèmes expriment souvent une atmosphère idyllique plus qu’une histoire réelle. Rossetti s’en inspirera directement pour ses toiles, comme The Blue Closet (1857), saynète élégante dans laquelle deux gentes dames jouent d’un instrument de musique médiéval. 

Incroyable luxe
Morris crée des tentures et des tapisseries, dont les rouleaux ornent les maisons des riches collectionneurs. Céramiques antiques ou reproductions modernes, meubles aux influences asiatiques, antiques ou médiévales, s’ajoutent pour créer un environnement adéquat aux dandys de l’époque. Reproduite dans l’exposition, la chambre de Rossetti mêle ces éléments et révèle le luxe incroyable de ce cercle d’exception. Un luxe qui se démocratise dans les dernières années du siècle, avec l’essor des manufactures textiles et de meubles, irriguant la société anglaise de motifs issus des travaux des artistes. Plumes de paons et tournesols, entrelacs mauresques et géométrisations japonisantes entrent dans le goût populaire, tandis que les dandys « esthétiques » sont de plus en plus brocardés dans les gazettes.
Trop maniéré, trop sentimental et trop dépensier, l’amateur devient, dans les années 1880, la cible des critiques, en témoigne l’œuvre du satiriste Georges du Maurier dans la gazette Punch. Oscar Wilde en particulier ne sera pas épargné, figure de proue d’un mouvement qui se scinde alors entre les artistes « établis » et ceux rejetés par l’opinion publique. Quelques chants du cygne apparaissent, tel Midsummer (1887) d’Albert Moore, une toile à l’aspect très décoratif, où le travail des couleurs complémentaires parvient à un degré de maîtrise ultime. Ensuite, l’esthétisme se fige dans des canons commerciaux dont il ne sortira plus.

LE CULTE DE LA BEAUTE

Commissariat : Stephen Calloway, conservateur au V&A ; Lynn Federle Orr, conservatrice au Fine Arts Museum de San Francisco

Nombre d’œuvres : env. 250

Itinérance : Musée d’Orsay, Paris, du 13 septembre 2011 au 15 janvier 2012

Le culte de la beauté. Mouvement esthétique 1860-1900

Jusqu’au 17 juillet, Victoria & Albert Museum, Cromwell Road, Londres, tél. 44 20 7942 2000, www.vam.ac.uk, tlj 10h-17h45, vendredi jusqu’à 22h

Légende tableau

Edward Burne-Jones, Laus Veneris, 1873-1878, huile sur toile, Laing Art Gallery, Newcastle upon Tyne. © Tyne & Wear Archives & Museums.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°349 du 10 juin 2011, avec le titre suivant : Beauté anglaise

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque