Bastides, malouinières, folies…

Les vacances ont leur architecture

Le Journal des Arts

Le 8 juillet 1998 - 1142 mots

Les vacances et l’été ont aussi leur architecture. En généralisant les vacances, le XXe siècle a construit davantage au bord de la mer qu’il ne l’a fait à la campagne. En matière d’architectures estivales, donc, deux univers : l’un tend vers la modernité, l’autre vers l’héritage.

Un observateur parisien note au tout début du XIXe siècle qu’à Marseille, le moindre artisan possède sa bastide dans laquelle il se rend dès le samedi soir : ce jour là, cinquante mille personnes sortent de la ville et se dispersent dans leurs maisons de campagne. “Bastides” à Marseille, elles s’appellent “campagnes” aux environs de Nîmes et de Montpellier, “chartreuses” dans la région bordelaise, “malouinières” près de Saint-Malo, “folies” aux portes de Paris : à chaque pays de France, un vocable spécifique. On parle de “villa” en Vénétie, de “vignes” autour de Rome, de “quintas” en Castille.
C’est, en fait, dès le XVIe siècle et Palladio que se répandent sous l’influence italienne ces maisons de plaisance, ainsi nommées parce qu’on y célèbre le plaisir qui succède au travail. Mais, en France, l’habitude pour les classes aisées se généralise plus tard, au XVIIIe siècle, de fuir la ville pendant les chaleurs de l’été. Il en résulte ces nombreuses constructions au caractère plus ou moins “néoclassique” qui ornent les environs de Bordeaux : Moulerens à Gradignan, Labottière à Talence, ou encore La Jalle qui  vient d’être sauvée de la destruction. Plus proche de l’Italie, la région lyonnaise avait connu le phénomène bien plus tôt : le Grand Perron, le Petit Perron sont édifiés aux portes de la ville par des marchands italiens dès le XVIe siècle. Mais les chefs-d’œuvre du genre sont dus à Soufflot, déjà célèbre sur la place en 1738 : La Rivette (1738-1740), le château  Bourbon (1741) et le couvent des Génovéfains (1748-1749) que l’on peut tenir pour une maison de plaisance religieuse en ville. Toutes trois et quelques autres veulent combiner l’élégance des lignes, la beauté du site et les agréments d’un jardin. À la fin du siècle, la mode fait fureur : Ledoux dessine une centaine de modèles de “maisons de campagne” ; plus tard, Pierre-Charles-Joseph Normand ainsi que Kraft en publieront des recueils entiers.

De cette production considérable, détachons la Garenne Lemot à Clisson, près de Nantes. Le sculpteur Lemot découvre le site en 1805, en compagnie de son ami Cacault, sénateur et amateur d’art. Conquis par son pittoresque, il achète le domaine avec ses ruines médiévales, aménage un parc, l’orne de fabriques, construit la maison du jardinier et autres dépendances, commande au célèbre architecte nantais Mathurin Crucy la réalisation de la maison de la Garenne. En 1826, un correspondant le presse de quitter Paris pour jouir du résultat : “Voici les beaux jours venus, nos coteaux se couvrent de fleurs et de verdure, le rossignol chante, hâtez-vous de venir jouir de tout cela avec des amis qui attendent avec impatience”. Mais la mort vient l’empêcher de goûter les douceurs de l’été.

Les bains de mer : régionalisme et modernisme
Sautons le XIXe siècle : il continue d’édifier des “campagnes”, néo-palladiennes en Bordelais, gothiques et troubadours en Anjou et dans l’Ouest ; elles ne se distinguent pas toujours, cependant, de ces châteaux qui ornent des exploitations agricoles rénovées. Quant à ce qu’on construit aux bains de mer, il ne se signale pas par une originalité particulière : c’est en néo-Louis XIII que l’impératrice Eugénie se fait bâtir une grande villa à Biarritz. Plus intéressante, la villa Kérylos, à Beaulieu-sur-Mer, construite entre 1909 et 1911 pour Théodore Reinach, helléniste et parlementaire – il a rapporté en 1913 à la Chambre des députés le projet de loi sur les monuments historiques. Une inspiration “néo-grecque” caractérise aussi bien l’architecture que la décoration intérieure et extérieure. L’auteur en est Emmanuel Pontremoli (1865-1956), architecte de l’Institut de paléontologie, boulevard Saint-Marcel à Paris (1910-1914). La villa Kérylos appartient aujourd’hui à l’Institut de France.

Il faut attendre le XXe siècle, et plus particulièrement l’entre-deux-guerres, pour constater l’apparition de nouveaux types d’architecture : à Deauville, au Touquet, à Hossegor, on combine à des éléments de modernité des formes inspirées de la ruralité locale – normande, basque ou landaise, voire picarde ou artésienne – pour inventer des formules régionalistes qui répondent à leur manière à l’uniformisation esthétique de l’époque. Dans le même temps, la modernité s’installe : à Saint-Jean-de-Luz, Robert Mallet-Stevens édifie en 1928 un casino aujourd’hui défiguré ; à Biarritz, Alfred Laulhé reconstruit le casino Bellevue l’année suivante. Mais c’est plus particulièrement sur la Côte d’Azur que sont expérimentées les audaces les plus modernes : à partir de 1924, la villa Noailles à Hyères par Mallet-Stevens ; de 1926 à 1929, la maison E-1027 à Roquebrune par Jean Badovici et Eileen Gray ; vers 1928, la villa “Vent d’aval” à Sainte-Maxime par Pierre Chareau ; en 1929, la villa d’Hélène de Mandrot au Pradet par Le Corbusier ; en 1932, l’hôtel Latitude 43 à Saint-Tropez par Pingusson ; en 1933, le dancing La Batterie à Val-d’Esquières par Pierre Barbe. Ces lieux sortent aujourd’hui de l’oubli. Ainsi la villa Noailles : édifiée à la demande de Charles et Marie-Laure de Noailles entre 1924 et 1930, elle se caractérisait aussi par son jardin (Gabriel Guevrekian) et ses décorations intérieures (Théo van Doesburg, Pierre Chareau, Barillet et Francis Jourdain). Laissée à l’abandon après 1972, la ville fut pillée sans vergogne et tombait en ruine, malgré une inscription sur l’inventaire supplémentaire en 1975. La Ville d’Hyères en a décidé la restauration en 1986 pour y installer un musée.

Quelques lieux parmi d’autres… Curieusement, l’architecture estivale n’a pas encore rencontré son historien. Tant mieux, le plaisir de la découverte n’en sera que plus vif.

A voir et à lire

Les années quatre-vingt-dix ont vu l’architecture des bains de mer sortir de l’ombre. Entre autres lieux privilégiés, et pour laisser de côté Arcachon parce que “ville d’hiver�?1 et non d’été, citons Trouville et Deauville2, avec la gare, la poissonnerie de Maurice Vincent – inscrite sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques – et ses villas ; Biarritz3 et la villa Natacha de Henri Sauvage et Charles Sarrazin (1905-1907), qui accueille depuis 1978 les Archives d’architecture de la côte basque ; Hossegor4, ses villas régionalistes et son Sporting-Casino, construit en 1927-1928 et 1931-1932 par les architectes Henri Godbarge et les frères Louis et Benjamin Gomez, inscrit lui aussi sur l’inventaire supplémentaire ; Le Touquet5, son hippodrome dû à Paul Furiet et Georges-Henri Pingusson (1925), et les constructions de Louis Quételart, inventeur du “style touquettois�?.

1. Arcachon, ville d’hiver, Liège Bruxelles, Margada, 1re éd. 1983. 2. La Côte normande des années trente. Trouville, Deauville, société et architectures balnéaires, IFA-Norma, 1992. 3. La Côte basque des années trente. Biarritz, villas et jardins, 1900-1930, IFA-Norma, 1992. 4. Claude Laroche, Architecture et identité régionale, 1923-1939, L’Inventaire, cahiers du patrimoine, 1993. 5. Richard Klein, La Côte d’opale des années trente. Le Touquet Paris-Plage, IFA-Norma, 1994.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Bastides, malouinières, folies…

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