Art contemporain

Basquiat, la rage de peindre

Par Guillaume Morel · L'ŒIL

Le 1 septembre 2003 - 614 mots

Il disparaît à vingt-sept ans, le 12 août 1988, probablement d’une overdose d’héroïne. En laissant derrière lui une œuvre puissante, entre énergie du geste et noirceur de la pensée. 

Pour évoquer la vie de Jean-Michel Basquiat, il paraît logique de commencer par sa fin, tant celle-ci semblait inéluctable. La représentation de la vie est toujours liée à celle de la mort, planant sur son existence comme une menace constante. Basquiat se fait connaître en 1977 par ses tags sur les palissades de l’East Side et de Brooklyn, qu’il signe Samo. Ces actes, remarqués par Keith Haring, n’ont au départ aucun but esthétique, mais sont plutôt la manifestation d’un besoin vital de s’exprimer librement. Des messages poétiques, satiriques, philosophiques, où apparaissent déjà certains motifs – la couronne – qui deviendront ensuite récurrents. S’il ne s’est jamais considéré comme un artiste du graffiti, ce langage annonce déjà son travail de peintre, une forme d’art nouvelle, révoltée mais empreinte d’une certaine poésie. De là vient aussi sa gestuelle, son tracé libre, propice aux murs des rues comme aux grands formats utilisés pour sa peinture. En 1981, Basquiat abandonne son pseudonyme pour signer de son vrai nom. Sa carrière commence véritablement avec l’exposition collective de la P.S 1 Gallery ; c’est aussi l’année où il rencontre Andy Warhol, dont la mort sera un déchirement en 1987. Reconnu par les collectionneurs et les critiques, il inaugure sa première exposition personnelle en 1982. Trois ans plus tard, il fait la couverture du New York Times Magazine : une première pour un artiste noir et la preuve de sa notoriété. Selon Alain Jouffroy, auteur de l’un des textes du catalogue aux côtés de Johnny Depp, la peinture de Basquiat est une « autobiographie tragique », un « exorcisme désespéré ». La mort traverse la majeure partie d’une œuvre guidée par l’inconscient, l’instinct et les pulsions. C’est une peinture née dans l’urgence, spontanée mais habitée. Avec, souvent, un contenu social et politique. Lorsqu’il peint El Gran Espectaculo (History of Black People), en 1983, il évoque les racines du peuple noir. Dans d’autres œuvres, en réponse à l’iconographie choisie par Warhol (stars, symboles de l’Amérique), il glorifie des héros noirs – Hank Aaron ou Sugar Ray Robinson – qui deviennent dans sa peinture de véritables icônes. Le motif de la couronne salue l’héroïsme et le génie des Noirs qui ont su s’élever au-dessus de leur condition et se faire une place autre que celle que
la société blanche leur réservait.
Sa peinture est avant tout un acte de survie où cohabitent des signes, des mots, des corps, Basquiat étant très influencé par le livre Anatomy de Gray qu’il lit en 1968, à la suite d’un accident de voiture. Le corps, souvent celui d’un écorché, est au centre de ses préoccupations picturales, comme un lien permanent entre la vie et la mort. L’espace et le vocabulaire urbains colorent son univers, tout comme
la bande dessinée et le dessin animé auxquels certaines toiles font référence. Sans oublier l’histoire de l’art, qu’il revisite notamment à travers Mona Lisa (1983). En une soixantaine de tableaux, dont le monumental Sans titre de 1982 et son visage de spectre menaçant, l’accrochage du musée Maillol rassemble l’essentiel de huit années de production, période trop courte pour distinguer une véritable évolution, mais suffisante pour faire de Jean-Michel Basquiat une figure emblématique des années 1980. Aux peintures s’ajoutent des images prises sur le plateau du film Downtown 81, ainsi qu’un émouvant ensemble de photographies de Stephen Torton.

« Jean-Michel Basquiat, peintures, histoire d’une œuvre », PARIS, fondation Dina Vierny – musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, VIIe, tél. 01 42 22 59 58, www.museemaillol.com, 26 juin-23 octobre, cat. 160 p., 35 euros.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Basquiat, la rage de peindre

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