Art contemporain

Baselitz mis à nu

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 4 juillet 2018 - 517 mots

Le peintre allemand expose à Colmar ses très récentes peintures de nus, dont le traitement ectoplasmique rompt avec celui des figures monumentales du passé.

Colmar (Haut-Rhin). Il fallait oser. Après la récente et splendide exposition à Bâle, à la Fondation Beyeler (2018), après la belle présentation à la galerie Thaddaeus Ropac de Pantin l’an dernier, exposer une nouvelle fois Georg Baselitz relevait d’une gageure. Toutefois, grâce en partie à l’échange entre l’artiste et la commissaire d’exposition, Frédérique Goerig-Hergott, le Musée Unterlinden à Colmar permet de découvrir un impressionnant ensemble d’œuvres, datant exclusivement des quatre dernières années. Certes, le sujet choisi, le corps, n’a rien d’étonnant, tant il est central dans la production plastique du créateur allemand, qui ne s’intéresse ni au paysage ni à la nature morte. Pourtant, malgré la sensation première de se trouver face à une série, malgré certains points communs entre toutes ces toiles, chaque corps laisse apparaître sa singularité. Mais, plutôt que de corps, c’est de nus qu’il convient de parler. De fait, les personnages peints par Baselitz sont réduits à un point tel à leur chair qu’il est difficile de les imaginer autrement.

Corps tronqués

Dans un livre désormais classique, Le Nu (éd. Le Livre de Poche, 1969), l’historien de l’art Kenneth Clark opérait une distinction entre le dévêtu et le nu. Indiscutablement, c’est dans la seconde catégorie que l’on classera ceux du peintre allemand. Centrés, présentés de front, le plus souvent isolés, de temps à autre en couple, ces nus ne supportent aucun décorum. Pire, ils n’« habitent » nulle part, car chez Baselitz l’espace est absent et les nus, posés à plat, flottent sur la surface de la toile.

Ici comme ailleurs depuis 1969, le peintre fait appel à la figure stylistique qui est devenue sa marque personnelle : le motif inversé. À cette manière inhabituelle de procéder, Baselitz ajoute une autre particularité : les corps sont amputés, tronqués. Systématiquement, la partie manquante est la tête, voire le buste. Une façon d’éviter toute expression psychologique ? Selon les dires de l’artiste, il s’agit souvent de sa propre représentation ou de celle de sa femme, Elke. On peut toujours y trouver une forme de ressemblance résiduelle avec les « modèles ». Mais rien n’interdit au spectateur d’avoir le sentiment que ces personnages ectoplasmiques, ces figures transparentes, sont des anonymes en train de se dissoudre dans la peinture, comme Dans la fumée (2016). Çà et là la matière est présente : des taches ou des traînées blanches d’une peinture granuleuse, des incrustations à la surface de la toile, apparaissent comme des traces laissées autour et sur les corps.

Accrochée sur deux niveaux du musée, l’exposition va crescendo pour s’achever sur des toiles immenses. On songe à la fameuse série « Les Héros » (1965-1966), ces colosses ou marionnettes géantes au corps monumental prolongé par une tête minuscule et à l’expression absente, dont Baselitz s’inspire. À Colmar, toutefois, aucune allusion au passé allemand, aucune dérision vis-à-vis des idéologies ayant voulu créer un « homme nouveau » et héroïque. À 80 ans, la seule actualité qui préoccupe l’artiste est celle de sa peinture. Mais, peut-être, est-ce le seul désir qui vaille.

 

corpus baselitz

jusqu'au 18 octobre, Musée Unterlinden, 1, rue des Unterlinden, 68000 Colmar.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : Baselitz mis à nu

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