De Stijl

Bart Van der Leck, l’autre Mondrian

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 28 février 2017 - 795 mots

Alors que les Pays-Bas célèbrent le centenaire de De Stijl, le Gemeentemuseum à La Haye met en scène le chassé-croisé entre les deux pionniers du néo-plasticisme.

LA HAYE - C’est la fête au Pays-Bas. Partout, on célèbre le centenaire de De Stijl – « style » en néerlandais –, ce mouvement d’avant-garde où peinture et sculpture, design et architecture partagent des formes géométriques dépouillées, voire abstraites. Avant tout, De Stijl est le nom d’une revue, lancée en 1917 par Theo Van Doesburg, avec la participation, entre autres, de Mondrian et Bart Van der Leck. Ces deux derniers font l’objet d’une exposition majeure qui se déroule à La Haye.

Parallèlement, un peu partout dans le pays, des musées profitent de cet anniversaire pour mettre en valeur les acteurs liés à cette nouvelle forme d’expression plastique. Ainsi, par exemple, à Amersfoort, la Kunsthal KAdE exposera les couleurs de De Stijl, quand la maison familiale de Mondrian propose une présentation pédagogique de son œuvre. Il faut avouer que la notoriété de Mondrian projette une ombre sur les autres artistes ; on oublie que Bart Van der Leck a également séjourné à Amersfoort, en y développant son écriture particulière.

La manifestation du Gemeente­museum permet de rétablir partiellement cette injustice en montrant une partie importante de l’œuvre de cet artiste. La formation de Bart Van der Leck – né en 1876 à Utrecht – se fait à l’atelier de peinture sur verre. On remarque que, dans ses années figuratives, l’artiste choisit des sujets venant du monde de la rue, des ouvriers, des soldats, des femmes en conversation ou allant au marché, le tout rendu avec un caractère monumental. Déclarant vouloir « détruire la corporéité par la planéité », Van der Leck réalise des compositions agencées comme une fresque antique ; les figures sont parallèles au plan du tableau, en rangées juxtaposées (Automobile, 1913). Davantage que des individus particuliers, les personnages forment des groupes placés sur un fond de bâtiments ayant perdu leur caractère topographique pour devenir de sobres coulisses (Sortie de l’usine, 1908).

Une cordée parallèle

Les premières salles confrontent ces travaux avec ceux de Mondrian. Malgré une thématique éloignée, l’évolution des deux artistes a des points communs. L’un et l’autre suppriment les détails anecdotiques et cherchent à aboutir à une synthèse de la réalité. Cependant, Mondrian procède par des séries, qui lui permettent de jouer sur la tension entre la structure générale d’un motif et la diversité possible de ses aspects. À travers les représentations encore « réalistes » mais fortement stylisées, des paysages marins et des arbres, on suit la mise en place des principes de l’ordonnance horizontale et verticale. À l’instar des autres pionniers de l’abstraction, Mondrian élimine rapidement la présence humaine, incompatible avec une démarche qui s’achemine vers la non-figuration. La singularité de Bart Van der Leck est de transformer la figure humaine et d’en faire un motif dépersonnifié. Dans un des tableaux phares du Gemeentemuseum (La Tempête, 1916), deux femmes vêtues en costume noir constituent une forme stable et massive, à peine déchiffrable.

Puis, le parcours met l’accent sur la rencontre des deux artistes à Laren, par l’intermédiaire de la grande collectionneuse et mécène, Madame Kröller. Entre 1916 et 1918, leurs œuvres, déconstruites à l’extrême, prennent le risque de dénuder les composants picturaux constitutifs : des lignes droites et des couleurs pures isolées ou combinées par la suite. Comme chez Picasso et Braque, il reste impossible (inutile ?) de déterminer avec certitude la nature exacte de cet échange indiscutable entre Bart Van der Leck et Mondrian. Tout au plus remarque-t-on que chez le premier les bâtonnets colorés sont dispersés, plus ou moins symétriquement, sur la surface de la toile, tandis que chez le second les surfaces rectilignes sont rattachées par un encadrement noir de lignes droites. Quoi qu’il en soit, chez l’un comme l’autre, tel un échafaudage, chaque œuvre est une construction à la fois très économe et très élaborée.

Pour des raisons qui restent inconnues, Bart Van der Leck refuse de signer le manifeste de De Stijl en 1918. De même, il renonce à s’engager, à l’instar de Mondrian, dans la religion de l’abstraction. Certes, les œuvres qui vont suivre se situent dans un entre-deux original qui n’a rien d’un retour à la figuration, comme le montre Trois Bouteilles (1927), où les objets n’apparaissent qu’en creux. Il n’en reste pas moins que l’histoire de l’art n’a jamais pardonné cette « trahison » ; dans le panthéon de l’avant-garde historique, Bart Van der Leck n’a gardé qu’un strapontin. À tort.

Piet Mondrian et Bart van der Leck

Commissaire : Hans Janssen
Œuvres : 150
Les différentes manifestations autour de De Stijl aux Pays-Bas, sur www.holland.com/culture

Légende Photo

Bart van der Leck, La tempête, 1916, huile sur toile, 118 x 159 cm, Kröller-Müller Museum, Otterlo. © Kröller-Müller Museum, Otterlo.

Piet Mondrian et Bart van der Leck

Jusqu’au 21 mai, Gemeentemuseum, Stadhouderslaan 41, La Haye (Pays-Bas), tél 00 31 70 338 1111, www.gemeentemuseum.nl, tlj sauf lundi 11h-17h. Catalogue en hollandais, 168 p., 35 €, en 14,50 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°474 du 3 mars 2017, avec le titre suivant : Bart Van der Leck, l’autre Mondrian

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