Art contemporain - Photographie

Aux sources de Thomas Ruff

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2022 - 718 mots

Le photographe de l’école de Düsseldorf dévoile ses procédés de fabrication dans une exposition qui l’inscrit, par ses travaux d’expérimentation, dans l’histoire de la photographie.

Saint-Priest-en-Jarez (Loire). Lorsqu’en 2020 Alexandre Quoi se rend à Düsseldorf pour rencontrer Thomas Ruff (né en 1958), il découvre l’immensité de l’atelier de l’artiste allemand, conçu par Herzog & de Meuron. La rencontre porte sur la rétrospective programmée au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, la première organisée en France. Responsable du département scientifique de l’institution et commissaire de l’exposition, il vient lui expliquer l’angle qu’il envisage pour construire le parcours, « remettant les séries dans un ordre chronologique, non en partant de leur date de production, mais de la date des procédés que Thomas Ruff investigue, ou des sources d’images qu’il remploie, afin de démontrer sa démarche conceptuelle et analytique qui ne cesse d’interroger ce qu’est la photographie. »Alexandre Quoi poursuit :« D’où le titre de l’exposition, “Méta-photographie”, dans le sens où l’on est constamment, dans ses œuvres, face à une réflexion sur le constituant matériel, technique, historique de la photo et de ses usages, tout en innovant sur bien des plans. Thomas Ruff est un historien de la photographie, voire un archéologue de la photographie si l’on se réfère aux travaux récents. »

Alexandre Quoi a ainsi bâti cette exposition d’une manière inédite et instructive. Elle commence non par les séries conçues quand le photographe allemand suivait l’enseignement de Bernd Becher à l’École des beaux-arts de Düsseldorf (séries placées plus tard dans le parcours), mais par l’intérêt qu’il porte à la photographie du XIXe siècle à travers trois séries récentes dont « Bonfils » montrée pour la première fois et réalisée en 2021, à partir de négatifs sur verre endommagés de la Maison Bonfils, remontant au début du studio à Beyrouth (à partir de 1867).

Un intérêt pour la photographie du XIXe siècle

Cette première salle montre deux autres séries nées d’images préexistantes d’Étienne-Jules Marey, et du capitaine britannique Linnaeus Tripe, en Birmanie et à Madras. Elle rappelle l’introduction de l’exposition de Jan Dibbets, « La boîte de Pandore », au Musée d’art moderne de Paris, en 2016 qui proposait une relecture inédite de l’histoire de la photographie accordant une place importante à la photographie scientifique du XIXe siècle qui avait produit des « choses grandioses » et pionnières tant sur le plan technique qu’artistique. « Le rôle des artistes est crucial dans ce besoin de reconstituer, de réécrire une histoire de la photographie pas seulement pour faire reconnaître sa valeur artistique mais pour regarder ce qu’elle signifie et représente dans l’ensemble de ses caractéristiques qu’elles soient sociales, économiques, historiques ou artistiques », insiste Alexandre Quoi. Thomas Ruff était à cet égard très présent dans l’exposition de Jan Dibbets.

Ainsi, la présente rétrospective inscrit Thomas Ruff dans la lignée des artistes en prise avec les racines de la photographie, ses spécificités et ses usages qui ont bouleversé nos sociétés en près de deux siècles. Elle guide le visiteur à travers les différents dispositifs photographiques utilisés par Ruff, avec des techniques les plus en pointe, voire qu’il a pu élaborer lui-même. Le photographe finit par retraiter numériquement des images de toutes origines, telles ces images de mangas japonais aux couleurs vives qui en deviennent abstraites (série « Substrate », voir ill.) ou ces images en grand format de propagande chinoise éditées au temps de Mao qui rendent compte de la manipulation et de l’aveuglement (série « Tableaux chinois », voir ill.).
 

Expérimentation analogique et numérique

L’opposition classique entre l’analogique et le numérique n’existe pas chez Thomas Ruff. Il les utilise et les combine pour renouveler et interroger en permanence les procédés et les contenus ou réinterpréter les genres tels celui du portrait ou les images produites et diffusées provenant d’origines multiples (presse, édition, Internet et même de la NASA).

Dix-sept séries ont été sélectionnées sur les trente réalisées jusqu’à ce jour (hors commandes), toutes issues de la collection de l’artiste qui n’est cependant pas intervenu dans le choix des photos, ou dans l’accrochage. Les textes explicatifs des cimaises accordent – une fois n’est pas coutume, surtout dans un musée d’art moderne et contemporain – une place importante et claire aux techniques de productions photographiques. Le livre édité pour l’occasion est un magnifique leporello qui révèle au verso des dix-sept photographies (une par série) leurs sources originelles, ce que Thomas Ruff avait toujours refusé de montrer.

Thomas Ruff, Méta-photographie,
jusqu’au 28 août, Musée d’art moderne et contemporain Saint-Étienne Métropole, rue Fernand-Léger, 42270 Saint-Priest-en-Jarez.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : Aux sources de Thomas Ruff

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