Aux arts, citoyens

L’ICA de Londres présente “Publicness”?

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 7 mars 2003 - 543 mots

L’art serait-il le dernier terrain où les idéaux prennent forme ? C’est en tout cas ce que laissent penser les trois artistes invités à l’Institut of Contemporary Arts (ICA) à Londres pour l’exposition “Publicness”?.

LONDRES - Chacun à leur manière, Jens Haaning, Matthieu Laurette ou Aleksandra Mir sont des artistes de terrain, voire des “artistes-citoyens”, qui s’infiltrent dans la sphère publique pour proposer des alternatives au système socio-économique ou tout simplement pour repenser les codes établis. En constante évolution, les projets qu’ils proposent ne se limitent pas au champ fermé de la galerie. C’est pourquoi “Publicness” semble prendre l’allure d’une escale dans ce vaste champ d’œuvres en cours. Chacune d’entre elles renvoie à un “ailleurs”, motif d’une action qui tenterait de changer la donne.
D’emblée, le Danois Jens Haaning ouvre les frontières : l’entrée de l’exposition est gratuite pour tout sujet non britannique. Pour continuer dans l’aspect in-situ, et en clin d’œil à l’immigration pakistanaise, l’artiste a fait déplacer les chaises de l’institution londonienne pour les mettre librement à disposition dans une rue au Pakistan. Haaning n’en est pas à sa première intervention sur le thème de l’immigration, ses difficultés et les inégalités voire les violences qu’elle entraîne. Ici, c’est surtout Ma’lesh (“Tant pis” ou “Peu importe”), à l’inscription en caractères arabes, qui attire l’attention. Cet énorme caisson lumineux a fait l’objet d’une censure et l’œuvre a été qualifiée de provocatrice à Besançon, où elle était destinée à orner la façade d’un immeuble au cœur d’une cité essentiellement occupée par des ouvriers immigrés. Le message originel, l’intégration, n’aurait pas été perçu par le service d’urbanisme de la Ville...
Aleksandra Mir, elle, nous propose un bond planétaire. Son film, First Woman on the Moon (“Première femme sur la Lune”), remet au goût du jour la théorie de la conspiration sur les premiers pas d’Armstrong en 1969 sur la Lune et réveille avec humour l’époque de la guerre froide. L’artiste, pour le trentième anniversaire de cet événement, a mis en scène son propre alunissage, drapeau américain à l’appui, sur une plage hollandaise. Et différentes entreprises, communautés ou groupes ont pu s’approprier cet événement, en le médiatisant selon les intérêts propres à chacun et indépendamment du caractère fictif du documentaire.
Frontières et territoires taraudent aussi Matthieu Laurette, qui nous présente l’évolution d’une action initiée à la dernière Biennale de Venise, en 2001. L’artiste a demandé par voie officielle aux cent douze pays non représentés à la Biennale de lui accorder la citoyenneté de leur nation. Quitte à ne pas être au centre du monde, autant se sentir partout chez soi : l’artiste s’est confronté aux questions légales de chaque pays et n’est toujours pas totalement citoyen du monde.
Plus au fait des stratégies du spectacle, Laurette, qui a fait réciter du Guy Debord à des passants parisiens, s’est aussi spécialisé dans l’art de réunir gratuitement des sosies de personnages célèbres et de les faire poser pour des affiches que l’on peut découvrir dans l’exposition. De quoi semer le trouble dans les esprits le soir du vernissage quand Élisabeth II s’est passée du protocole et s’est jetée de manière éhontée dans les bras de Sid Vicious !

PUBLICNESS, JENS HAANING, MATTHIEU LAURETTE, ALEKSANDRA MIR

Jusqu’au 16 mars, ICA, The Mall, Londres, tél. 44 20 7930 3647, tlj 12h-19h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : Aux arts, citoyens

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