Au tour de Turner d’être confronté à ses maîtres

Par Colin Cyvoct · L'ŒIL

Le 23 septembre 2009 - 396 mots

Un siècle et demi après sa mort, la carrière du peintre anglais William Turner (1775-1851) soulève toujours de nombreuses interrogations.

Cet homme aux origines modestes, au caractère renfermé et peu engageant, est aujourd’hui considéré comme un audacieux précurseur de l’impressionnisme et de l’art abstrait, tant certaines de ses « œuvres inachevées » évoquent irrésistiblement des toiles de Monet ou de Rothko. Le jeune peintre eut pourtant un début de parcours totalement conformiste. Accueilli au sein de la prestigieuse et très conservatrice Royal Academy dès l’âge de vingt-sept ans, il y enseignera la perspective durant plus de vingt ans, tout en poursuivant une brillante carrière qui lui apportera richesse et célébrité. L’exposition « Turner et les maîtres » à la Tate Gallery permet d’appréhender les relations complexes qu’entretenait l’artiste avec ses pairs des siècles passés. Contemplant pour la première fois L’Embarquement de la reine de Saba de Claude Lorrain, le jeune Turner fondit en larmes, bouleversé par la crainte de ne pouvoir « jamais rien peindre d’égal à cela ». Cinquante ans plus tard, parvenu au faîte de la reconnaissance, il léguait à la National Gallery tout son fonds d’atelier, à la condition non négociable que deux de ses toiles : Didon construisant Carthage et Lever de soleil dans la brume soient accrochés aux côtés de deux tableaux de Claude Lorrain : L’Embarquement de la reine de Saba et Le Mariage d’Isaac et de Rébecca ! Pensait-il avoir égalé sinon surpassé l’un de ceux qui l’avaient le plus fortement impressionné ? La confrontation entre son Paysage : femme avec un tambourin daté de 1845, et le Paysage avec l’arche de Titus du Lorrain réalisé deux siècles auparavant est éloquente. Le Français a peint son paysage à contre-jour, seul le ciel est violemment éclairé par le soleil couchant. Turner reprend à peu près la même disposition des éléments du paysage, mais il inonde sa toile d’une luminosité forte et diffuse qui absorbe les contours des arbres et des collines. Jamais il n’a craint de se confronter avec les grands classiques qu’il admirait : Rembrandt, Van de Velde le Jeune, Poussin, Canaletto, ou avec son contemporain John Constable. Avec une constante : tendre vers toujours plus d’abstraction, lier en une même énergie le mystère de la couleur et celui de la lumière.

Turner and the Masters, Tate Britain, Linbury Galleries Millbank, SW1 Londres (Grande-Bretagne), www.tate.org.uk/britain, jusqu’au 31 janvier 2010.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°617 du 1 octobre 2009, avec le titre suivant : Au tour de Turner d’être confronté à ses maîtres

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