Montréal (Canada)

Au temps des échanges franco-allemands

Musée des beaux-arts, jusqu’au 25 janvier 2015

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 18 novembre 2014 - 537 mots

L’institution montréalaise s’est alliée à la Kunsthaus de Zürich et au Lacma de Los Angeles pour mettre sur pied cette exploration élégante des échanges entre les scènes artistiques françaises et allemandes avant la Première Guerre mondiale.

Avant que les antagonismes politiques, économiques et idéologiques ne fassent plonger l’Europe dans l’obscurantisme, les artistes des deux côtés du Rhin entretinrent un cosmopolitisme fécond. L’exposition en fait la démonstration à partir de très beaux prêts, qui en font l’un de ses principaux attraits, et d’une scénographie subtile de Gilles Saucier. Elle est d’abord solaire, radieuse, en écho à l’insouciance du Paris de la Belle Époque qui introduit le parcours avec une projection et un appareillage documentaire fourni, jusqu’à sa conclusion guerrière et photographique, plongée dans la pénombre et le chaos des heures sombres, littéralement rendues par des cimaises anguleuses et la faible intensité lumineuse.

Dès la première grande salle, le parcours fait la démonstration de l’empressement avec lequel les institutions germaniques ont reconnu et acheté les œuvres de la modernité hexagonale. À sa création, en 1902, le Folkwang Museum d’Essen exposait déjà Signac, Renoir, Van Gogh, Gauguin, Matisse et Rodin. On est loin de la frilosité du Musée du Luxembourg (alors galeries contemporaines de l’État français) renâclant devant des dons ! Si l’on connaît bien le rôle de Daniel-Henry Kahnweiler (souligné d’ailleurs dans une salle consacrée au cubisme), on découvre ceux du galeriste Paul Cassirer, des collectionneurs allemands Wilhelm Uhde, Ugo von Tschudi, Harry Graf Kessler et Karl Ernst Osthaus. Ce dernier œuvrera à la diffusion des artistes français depuis le Musée d’Essen qu’il fonda, puis des expressionnistes allemands de Die Brücke qu’il collectionna. L’exposition de Montréal rassemble judicieusement certaines des œuvres que ces hommes ont contribué à diffuser en Allemagne, mais davantage de documentation aurait pu combler la curiosité du visiteur à ce sujet. Car le parcours repose essentiellement sur la centaine de tableaux qui le composent. Autoportrait de Van Gogh de 1887 prêté par le Wadsworth Atheneum, nombreux Gauguin venus de Chicago, Washington, Kansas City, Ottawa ou Paris, splendides toiles de Kirchner habituellement visibles à Berlin ou Milwaukee ; la visite régale. Elle fait une sobre démonstration des objectifs communs comme des singularités. Alternant chassés-croisés et salles pleinement dédiées aux mouvements successifs, la visite démontre que l’influence entre Paris et l’Allemagne n’est pas à sens unique. Les uns sont venus se former dans la Ville lumière, tandis que les autres exposent à Dresde, Cologne, Munich, Essen et encore Berlin, chez Cassirer – comme Matisse en 1909. Le visage de l’art contemporain de l’époque est encore progressiste, épargné par les nationalismes qui se structurent dans chaque pays et ne tarderont pas à bannir les artistes étrangers.

On parvient aux portes du conflit avec un bel ensemble dédié au Blaue Reiter. Ce Cavalier bleu spirituel et prospectif s’incarne dans des chefs-d’œuvre rares comme un Nu vermillon de Franz Marc, une Poupée de bois de Gabriele Münter, un Paysage avec vaches d’August Macke et, enfin, une Improvisation III que peignit Kandinsky en 1914. Mais on ne résiste pas à la déferlante d’acier et de violence sur laquelle finit l’exposition. Vitrines, cartes postales, film aérien nous ramènent à la réalité de cet événement déclenché précisément il y a tout juste un siècle.

« De Van Gogh à Kandinsky, de l’impressionnisme à l’expressionnisme, 1900-1914 »

Musée des beaux-arts, 1380 rue Sherbrooke Ouest,Montréal (Canada), www.mbam.qc.ca

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : Au temps des échanges franco-allemands

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